Appelés à la liberté
Type : Réflexion
Thème : Théologie
Source : Construire Ensemble
Publié sur Lueur le
La liberté : y a-t-il sujet plus important et plus vital aux yeux de l'homme moderne ? Liberté, c'est le premier mot de la devise républicaine de notre pays : "Liberté, égalité, fraternité". Et l'article premier de ce texte si capital pour la modernité, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne déclare-t-il pas que "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits" ? Et pourtant ...
Tout être humain lucide est conscient que l'expérience concrète contredit (au moins en partie) ces belles affirmations. On connaît le mot de Jean-Jacques Rousseau : "L'homme est né libre et partout il est dans les fers." Dans un tout autre style, la chanteuse Patricia Kaas (dans une chanson intitulée justement "La liberté") dit également la difficulté d'être libre : "La liberté / C'est pas la porte à côté / La liberté / C'est le bout du monde".
Faut-il donc appeler Dieu à la rescousse ? N'oublions pas que la construction de notre modernité occidentale s'est faite dans une prise de distance toujours plus grande avec la "chose" religieuse. Bien des penseurs du siècle des Lumières et des siècles suivants voyaient dans l'émancipation de l'être humain vis-à-vis de Dieu et de la société religieuse de leur époque une des conditions indispensables de la liberté humaine. Et s'il faut constater, en cette fin de millénaire, que cette émancipation n'a pas produit l'effet désiré (en tout cas sur un plan individuel), Dieu et la liberté n'en continuent pas moins d'apparaître la plupart du temps, dans notre culture, comme des concepts largement opposés.
Le Dieu libérateur
Y a-t-il donc un chemin vers la liberté ? Il vaut la peine de se mettre à l'écoute de ce superbe texte que constitue le chapitre 5 de l'épître aux Galates dans lequel l'apôtre Paul (Ga 5), après avoir magistralement défendu dans les précédents chapitres la gratuité du salut, se livre à une profonde réflexion sur la condition humaine et la liberté chrétienne. "C'est pour que nous soyons vraiment libres que Christ nous a libérés" affirme-t-il dès le premier verset (Ga 5.1). Paul se fait l'écho d'une vérité fondamentale qui traverse toute la Bible le Dieu de la révélation biblique est le Dieu libérateur. A un peuple esclave et sans avenir, il ouvre la mer des Joncs et avec elle un avenir inespéré. Israël passe de l'esclavage d'Egypte au service du Dieu qui rend libre. Le don de la Loi (chemin de vie) se situe dans ce contexte ; ainsi les dix Commandements sont-ils introduits par le rappel de cette importante vérité : "C'est moi le SEIGNEUR ton Dieu qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison des esclaves" (Ex 20.2). Mais l'ancien pharisien juif qu'était Paul, par sa rencontre du Seigneur Jésus, a mesuré tout ce que la nouvelle alliance (le régime nouveau de l'Esprit) apportait en plus en matière de libération par rapport à l'ancienne.Dans cette réflexion, il convient d'être attentif, me semble-t-il, à la double vérité qui est énoncée :
1 - la réalité objective de cette libération opérée par la mort et la résurrection du Christ : c'est un fait accompli, la chose a été réalisée et elle nous concerne dans la mesure où nous sommes unis à Lui. Il nous a libérés du joug de la loi en portant sur lui le poids de nos fautes, et de la tyrannie de la chair en la réduisant à l'impuissance (Rm 6.6). Comme pour Luther, une telle vérité doit susciter en nous la joie et l'émerveillement : "Nul ne peut définir par la parole ni concevoir par sa pensée la grandeur d'un tel don : à la place de la loi, du péché, de la mort et d'un Dieu irrité, posséder la rémission des péchés, la justice, la vie éternelle et un Dieu propice et favorable !" (Commentaire de l'épître aux Galates).
2 - cette réalité objective doit devenir une réalité subjective, c'est-à-dire être reçue dans la foi, intégrée intérieurement et avoir des répercussions visibles dans notre vie quotidienne. En d'autres termes, Paul nous dit : votre vocation de chrétiens c'est d'expérimenter dans le concret de votre vie la libération acquise par Jésus-Christ.
Le joug de la loi
C'est pourquoi, Paul poursuit par cette exhortation qui est un appel à la vigilance : "tenez bon et ne vous laissez pas de nouveau réduire en esclavage"... car deux puissants tyrans ne demandent qu'à nous plonger dans la servitude la plus profonde : la "loi" et la "chair". Et Paul de décrire dans la suite de ce chapitre leurs actions funestes respectives. Il commence par la loi (Ga 5.2-12), ce tyran "extérieur" pourrait-on dire. A des chrétiens galates séduits par le discours de judaïsants les invitant à pratiquer les préceptes de la loi de Moïse, notamment la circoncision (condition selon eux pour plaire à Dieu et être sauvé), Paul rappelle avec vigueur qu'il n'y a qu'un Evangile véritable, celui de la libération de la condamnation divine par l'oeuvre de Jésus-Christ, celui de la justification de l'homme devant Dieu "par la foi en Christ, et non par les oeuvres de la loi" (Ga 2.16). Je suis déclaré par Dieu acquitté et juste non pas à cause de mes actes, mais à cause du seul Juste, Jésus, en qui je place ma confiance : il prend mon péché et me donne sa justice. Admirable échange, merveilleuse nouvelle !Mais quel est le chrétien qui n'a jamais cédé aux sirènes de l'autojustification, de la justice par les couvres ? Ce mécanisme de la justification par nos actes est inscrit en chacun de nous (d'une manière plus ou moins profonde), parce qu'il régit profondément le fonctionnement de notre société (et comment pourrait-t-il en être autrement ?) : je suis considéré par ma famille, par mes professeurs, par mes collègues de travail, par mes voisins, etc. dans la mesure où mon comportement correspond à leurs attentes et à leurs valeurs morales. Je me sens donc aimé et apprécié dans la mesure où je fais ceci et cela.
C'est donc tout naturellement (et de manière en bonne partie inconsciente) que nous projetons ce type de fonctionnement sur notre relation à Dieu... et nous y voilà sous le joug de la loi (en tant que système de justification) ! Vigilance, nous dit l'apôtre.
L'esclavage de la chair
La "chair" : ce mot a plusieurs sens possibles dans la Bible. Ici, il désigne la réalité humaine marquée par le péché, portée vers le mal.D'autant plus, qu'un tyran peut en cacher un autre, cette fois tout "intérieur" : la "chair". D'où la deuxième exhortation paulinienne "Oui, mes frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vous laisser aller aux tendances de votre nature pécheresse (littéralement : "la chair")" (Ga 5.13). Y a-t-il plus puissant oppresseur que celui-là ?! Il habite en chacun d'entre nous et constamment nous pousse au mal. Ses oeuvres (Paul en cite un certain nombre), suscitées par des désirs purement égoïstes, sont ténébreuses et engendrent des ruptures de relation, avec notre Créateur et avec nos frères d'humanité. La chair, c'est le venin du "serpent ancien" (Ap 12.9) qui coule dans nos veines. Ô malheureux homme que je suis, qui me délivrera... ?
L'Esprit libérateur
La réponse paulinienne ne se fait pas attendre : s'il est vrai que l'Esprit est la source de notre vie (nouvelle), alors laissons-le vraiment diriger notre conduite (Ga 5.25), dit-il en substance. Car c'est Lui (et Lui seul) qui peut rendre effective, dans le concret de notre existence, la libération opérée par Jésus-Christ. Face à ces deux grands tyrans invincibles par nos seules forces humaines, l'apôtre invoque l'action puissante et libératrice de Celui qui est Dieu en tant qu'oeuvrant et répandant la vie nouvelle en nous.Face à la loi en tant que système de justification par les couvres qui engendre la culpabilité et la paralysie, la voix tout intérieure de l'Esprit nous dit et nous redit que nous sommes les enfants bien-aimés du Père, adoptés et accueillis tels que nous sommes : "Fils, vous l'êtes bien : Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie Abba - Père !" (Ga 4.6). N'oublions cependant pas que l'Esprit couvre avec la Parole de Dieu que nous sommes appelés à toujours méditer. Face à la puissance de la chair, il nous faut faire appel à la puissance supérieure de l'Esprit : "Je vous dis donc ceci : laissez le Saint-Esprit diriger votre vie et vous n'accomplirez pas les désirs de votre nature pécheresse" (Ga 5.16). Il s'agit pour nous d'abord de savoir et de croire à la réalité de cette oeuvre de l'Esprit, qui produit ce bon fruit décrit par Paul (Ga 5.22-23). Il s'agit ensuite de véritablement compter sur elle et de s'y disposer en usant des moyens de grâce que Dieu nous a donnés : la prière (voire le jeûne), la méditation de la Bible, l'Eglise. Avec la force que nous donnera l'Esprit, nous pourrons résister aux désirs illégitimes de la chair et marcher en nouveauté de vie.
Notre vocation chrétienne, c'est la liberté. Nous sommes appelés à constamment progresser sur ce chemin de liberté. Vivre libre, c'est donc être vainqueur par l'Esprit de ces deux tyrans que sont la loi et la chair. Vivre libre, c'est savoir au plus profond de nous-mêmes que nous sommes aimés de Dieu, et c'est choisir librement et joyeusement de se mettre au service les uns des autres.
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