Une médecine de toute la personne
Type : Réflexion
Thème : Santé & Psychologie
Source : Aimer & Servir
Réf./Date source : 126
Publié sur Lueur le
L'homme et son infirmité
Chose exceptionnelle, ce cas semble mettre un instant en échec la parole souveraine de Jésus. Le plus souvent, il n'avait en effet qu'un mot à dire pour guérir un paralysé, un épileptique ou un aveugle. Plus loin en effet, près de Jéricho, la guérison d'un nommé Bartimée, aveugle mais homme de caractère, fut immédiate sur une simple parole (Mc 10.46).
Ce traitement-ci a été laborieux mais il nous est rapporté avec une précision significative qui permet d'entrevoir quels ont été les obstacles à surmonter. Ils résident dans la personnalité même du malade illustrant ce que nous nommerions aujourd'hui des résistances à surmonter pour qu'apparaisse un résultat.
Et le traitement tient ici le plus grand compte des dispositions du patient. Il est en effet un principe toujours présent dans les Ecritures : le respect du Créateur envers sa créature et la patience déployée pour l'amener à changer. Le thème est fréquemment repris par Jésus quand il compare le Père à un cultivateur. Ou bien encore il se décrit comme le bon berger autrefois annoncé, qui règle son allure au pas des brebis fatiguées (Es 40.11).
Il existe en effet toutes sortes de malades, quel que soit par ailleurs leur genre de maladie. Certains sont prêts à coopérer avec le thérapeute alors que chez d'autres le désir de guérison s'avère ambigu. Tout se passe alors comme si l'état de maladie faisait partie de la personnalité et que la perspective d'un changement trop important les dérange. Aller un tout petit peu mieux, moins souffrir, à la rigueur ! Mais assumer l'autonomie d'une santé sans histoire, c'est autre chose !
Un homme sans initiative
Cet aveugle là ne rencontre Jésus que sous la pression de l'entourage. On le traîne à la consultation, dirait-on ! On l'amena et on pria Jésus de le toucher. Le Seigneur commence par isoler le malade de ses proches (hors du village) de façon à le voir seul à seul.
Il est à juste titre habituel d'utiliser cette image au figuré pour souligner la nécessaire rencontre personnelle de chaque croyant avec Jésus. Mais le contexte de ce récit enseigne quelque chose de plus immédiat.
Cet homme souffrant est extrêmement passif. Au point qu'il faut même à un moment donné, lui demander expressément s'il voit quelque chose pour qu'il ouvre les yeux. Il semble bien avoir abdiqué toute initiative.
Il se laisse aller, attendant que les autres décident pour lui ! Nous dirions aujourd'hui dans notre jargon soit qu'il est dépressif soit qu'il est régressé.
Ainsi s'explique mieux la façon dont le Seigneur à affaire à lui.
Qui, dans la vie touche le corps et dépose parfois un peu de salive sur l'endroit douloureux, sinon la mère ? Dans les situations banales de l'enfance que nous avons tous pu observer, la douleur cède et le courage renaît à ce traitement car on se sent soudain compris, soutenu et consolé par ce signe très concret de proximité et de tendresse. Cet homme aveugle avait besoin de retrouver le contact précoce qui redonne le goût à la vie pour qu'ensuite s'opère en lui la guérison physique que Jésus lui apportait.
C'est bien sûr une façon particulière, il y en a d'autres, de signifier la sollicitude de celui qui soigne.
Un caractère pessimiste
Le premier résultat du traitement confirme ce qu'est l'expérience de cet aveugle. Les hommes enfin aperçus, qui vont et viennent autour de lui, ne lui paraissent pas plus chaleureux que des arbres, aussi lointains et indifférents. Alors le traitement se poursuit. De nouveau, le Seigneur lui pose les mains sur les yeux, le réconfortant de sa chaleur, de son autorité et de sa puissance. Le regard change. Il n'est désormais plus incertain ou vague. Il peut se fixer, interroger les choses, affronter la réalité. Bref, l'homme est rétabli et peut distinguer une chose d'une autre au lieu de la confusion d'autrefois. Il voit tout distinctement.
Nous connaissons le rapport inconscient du regard et du caractère. Nous voyons tout en noir ou bien nous ne voyons pas une chose grosse comme une maison, alors qu'une circonstance évidente passera complètement inaperçue : Je n'ai rien vu !. Autant d'ex-pressions qui traduisent soit notre caractère, soit notre humeur, voire notre état mental, lesquels à leur tour peuvent avoir un effet sur notre santé. Il semble bien que Jésus soit attentif à l'état psychologique de l'aveugle pour le conduire doucement à la guérison.
Et maintenant ?
Est-ce terminé ? Non. Il faut sans doute encore un temps de convalescence pour que se consolide la guérison. En effet, comme certaines personnes doivent se mettre au vert ou bien prendre une distance par rapport au quotidien, notre aveugle s'entend impérativement conseiller de ne pas retourner chez lui. Ne retourne pas au village ! (Mt 8.26) Il n'est manifestement pas assez fort pour affronter la pression de son ancien environnement. Est-ce à dire que l'organe lui-même, les yeux sont mal réparés ? Sans doute pas ! Mais il est clair que dans son cas, l'infirmité était devenue un mode de vie, son moyen habituel de relation, entraînant passivité et dépendance. Qui sait si, sous la contrainte du milieu cet homme fragile ne serait pas tenté de revenir à ses vieilles habitudes au détriment même de sa santé.
Dans certains cas la maladie somatique en elle-même peut bien n'être que l'expression d'un désarroi plus général et plus profond. Cause ou conséquence ? On ne sait guère.
Mais il est certain que la guérison apparente de l'organe n'est donc pas toujours la guérison de toute la personne. La longue liste des maladies dites psychosomatiques ne le dit que trop. Pourtant la médecine traditionnelle reste souvent prudemment organiciste. Cela se comprend. Il est en effet tentant, et aussi plus facile et plus expéditif de traiter l'organe fautif et d'oublier qu'il y a au delà toute une personne malade.
Et il n'est que trop facile de généraliser cette attitude à toutes les relations d'aide. Il convient évidemment de répondre à la demande exprimée et au besoin le plus apparent. Mais ensuite que de précautions, de patience et de détour sont nécessaires pour aborder et traiter la véritable détresse. C'est bien sûr le grand enseignement des Evangiles où Jésus dévoile toujours le besoin radical de guérison qui est non seulement somatique et psychologique, mais aussi spirituel.
Il accepte pourtant de ne guérir que ce que le patient veut bien recevoir car il ne contraint jamais personne ! Ainsi cet aveugle anonyme va suivre son chemin, on ne sait trop où, alors que Bartimée, quelques jours plus tard décidera aussitôt guéri de se mettre sur le champ en route avec Jésus. (Mc 10.53)
L'arbre ne peut pas cacher la forêt...
Plusieurs conclusions s'offrent à ce récit. La première serait qu'il n'existe pas de changements magiques de la personnalité. Lorsque les yeux s'ouvrent, beaucoup de directions et de choix deviennent possibles et alors s'amorce une nouvelle route qui peut être longue.
Toute guérison, toute naissance, ou renaissance, ne sont qu'un commencement !
Une médecine qui se voudrait strictement objective, scientifique et organiciste sans considération du contexte et de la suite, se verrait souvent mise en échec par la complexité de la personnalité du malade et de son histoire. Enfin toute relation d'aide de la plus humble à la plus sophistiquée ne peut négliger les expériences heureuses mais aussi bien souvent malheureuses qui se sont inscrites dans la personne. Toutes doivent être entendues, accueillies dans le contexte qui les ont marquées, puis accompagnées à leur pas, avec les moyens appropriés.
La compassion et la patience de Jésus s'inspirent de cette connaissance, du respect et de la patience que manifeste inconditionnellement le Créateur vis-à-vis de sa créature.
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