La musique, perspectives bibliques
Type : Enseignement
Thème : La louange
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 54
Publié sur Lueur le
Qui veut bien interpréter une partition musicale doit apprendre à tenir compte non seulement des notes mais aussi des silences. Ces temps morts que le musicien novice ou inattentif tend à négliger ont aussi leur importance pour donner à l'oeuvre son caractère. La notation musicale le confirme en donnant à chaque silence une durée propre correspondant à celle des notes : pause, demi-pause, silence, soupir, etc.
Des silences
En matière de musique, la « partition » biblique se signale par de surprenants silences. Absence de toute disposition musicale dans la loi du Sinaï qui établit avec pourtant force détails les règles de la vie civile et cultuelle d'Israël, les chants ou la musique ne sont prévus ni dans le déroulement des fêtes, ni dans les attributions du personnel du culte. Et dans l'Église apostolique, si les chants (mais jamais la musique instrumentale) sont mentionnés ici ou là, les listes de dons spirituels ou de services, que l'on se plait aujourd'hui à parer du nom pompeux de ministères, n'évoquent jamais de don ou de service musical.
Ces silences, qui tiennent plus de la grande pause que du quart de soupir, sont d'autant plus significatifs que la musique est loin d'être absente de la Bible. Dès le début de la Genèse résonnent les premiers cordes et vents inventés par les descendants de Caïn (Gn 4.21) et les derniers chapitres de l'Apocalypse vibrent encore des cantiques des rachetés au son des lyres de Dieu (Ap 15.2). En plein milieu de la Bible, le personnage central de David, dont les talents musicaux se conjuguent à bien d'autres qualités remarquables, donne à la musique ses lettres de noblesse en introduisant dans le culte une part vocale et instrumentale importante, de qualité professionnelle, et en composant lui-même un ensemble de cantiques qui constitueront le noyau du livre des Psaumes.
Des nuances
Notes et silences composent ainsi une sorte de symphonie biblique. Ouverture pianissimo, voire un peu trouble et indécise, avec la mention des premiers maîtres luthiers de la lignée maudite. Puis se font entendre quelques refrains joyeux, parfois accompagnés de danses, qui célèbrent la traversée de la mer Rouge (Ex 15) ou la victoire sur l'oppresseur cananéen (Jg 5). Mais ces notes gaies ne parviennent pas à dissiper totalement le trouble initial, il resurgit lorsqu'on voit la même couleur musicale concourir au péché du veau d'or (Ex 32).
Avec David l'oeuvre gagne en ampleur et en intensité. Adagio apaisant du jeune prodige qui sait si bien calmer la fureur du roi malade. Allegro, presto, prestissimo du roi exalté qui danse de toute sa force devant le coffre sacré, oubliant son rang et quelques convenances. Mais là encore on ne pourra manquer le contrepoint des expériences contrastées de Saül aussi bien avec les prophètes musiciens (1 Sam 10.5 ; 1 Sam 19.25) qu'avec son jeune « musicothérapeute » (1 Sam 16.23 ; 1 Sam 8.10-11), et la vulgaire scène de ménage qui oppose le roi danseur à son épouse indignée au soir de sa mémorable prestation chorégraphique est de nature à tempérer quelque peu l'enthousiasme naturel du public ancien ou contemporain (2 Sam 6.20). Forte maestoso des grands choeurs de Lévites soutenus par un orchestre où ne font défaut ni les cordes ni les vents ni les percussions et qui marqueront solennellement l'inauguration du temple. Du livre des Psaumes, à lui seul toute une symphonie, résonnent les accents les plus divers depuis le lamento déchirant du fidèle abandonné (Ps 22.1) jusqu'aux alléluias triomphants, en crescendo saisissant dans les derniers psaumes jusqu'à l'ultime tutti fortissimo où, tous instruments réunis, tout ce qui respire est entraîné à louer le Seigneur (Ps 150).
Des dièses et des bémols
Après ce final grandiose, final avant la fin, évidente anticipation d'un règne divin dont la pleine manifestation est encore attendue, la suite paraît bien modeste et timide. Du ministère de Jésus et de la vie des premières communautés chrétiennes quelques notes s'échappent. Juste assez semble-t-il pour confirmer que le chant n'est pas voué à disparaître dans la nouvelle alliance. Il accompagne Jésus la veille de sa mort (Mt 26.30) et les missionnaires en prison (Ac 16.25), montrant par là qu'il n'est pas une simple activité de détente, mais peut soutenir l'âme dans les épreuves les plus dures. Quelques exhortations apostoliques (Ep 5.19 ; Col 3.16) confirment son utilité pour instruire et exhorter. Mais on est loin de l'enthousiasme de certaines pages de l'Ancien Testament. Même si l'Apocalypse ponctue chaque nouveau dévoilement du plan divin d'un cantique auquel se joignent des foules nombreuses, même si l'instrumentation musicale y retrouve une mention explicite, la description finale de la nouvelle Jérusalem (Ap 21-22) qui parle d'or, de pierres précieuses, d'architecture, reste muette sur la musique. La dernière notation musicale du dernier livre de la Bible nous laisse sur le registre négatif de la fin de Babylone où l'on n'entendra plus jamais les joueurs de lyre, les musiciens, les joueurs de flûte ou de trompette (Ap 18.22). Bien que le texte évoque davantage les menaces d'Ésaïe (Es 24.8) ou d'Ézéchiel (Ez 26.13) que les débuts de l'humanité, la conjonction des instruments à corde et à vent, caractéristique des inventions du début de la Genèse, nous ramène à l'introduction. Commencée piano et en mineur, l'évocation musicale biblique s'achève sur le même ton.
Dans le débat contemporain sur la place de la musique dans la piété chrétienne, sur les critères qui devraient permettre de valider ou d'invalider tel genre musical, la Bible est souvent sollicitée de manière partielle. L'impression que dégagent des grandes lignes de son message devrait précéder toute exploitation hâtive de tel exemple ou détail. Risquons quelques propositions.
Une partition à déchiffrer
Au vu de la place faite à la musique dans la révélation biblique, l'importance que l'on tend à lui accorder aujourd'hui n'est-elle pas excessive ? Vigueur des débats, place toujours plus envahissante dans le culte et de quasi-monopole dans les rassemblements de jeunes, achat de matériel toujours plus coûteux, tensions donnant l'impression que la vie de la communauté dépendrait de la présence ou de l'absence de telle forme ou de tel instrument, le risque existe de valoriser à l'excès un aspect de la piété, digne d'intérêt, certes, mais à côté d'autres aspects qui méritent plus d'attention tels que l'annonce de la Parole, la prière, l'enseignement, l'entraide. Le temps fort de l'époque de David qui n'est pas resté sans lendemains puisque jusqu'après l'exil subsistent encore des familles de chantres et de musiciens, laisse la voie ouverte à la recherche de la qualité, même professionnelle, mais que cela reste une ouverture, une joie, sans devenir une obsession.
Le caractère ambivalent de la production musicale, que révèlent notamment des expériences musicales contrastées, chants et danses après la traversée de la mer Rouge et devant le veau d'or, effets opposés chez Saül et de la rencontre avec les prophètes musiciens et de la thérapie de David, invite au discernement. Sans parler ici de la recherche de critères musicaux objectifs, la seule mise en oeuvre des critères subjectifs, motivations réelles, qualité de la relation avec Dieu et avec les frères, pourrait déjà prévenir bien des fausses notes spirituelles.
S'il est un principe qui ressort clairement et constamment de l'Écriture, c'est la primauté de la parole sur la musique. De l'oeuvre musicale de David, il ne nous reste que les mots. Dans ses deux exhortations jumelles aux Éphésiens et aux Colossiens, Paul insiste sur le rôle de la parole. Aux Éphésiens, il recommande de se « parler » par des psaumes, des hymnes des cantiques spirituels (Ep 5.19), aux Colossiens, de s'instruire et de s'exhorter par le même moyen (Col 3.16). Les derniers hymnes de l'Apocalypse qui, au début du chapitre 19, proclament le triple alléluia final sont introduits chaque fois par le verbe « dire » rappelant ainsi une dernière fois, et jusque dans le ciel, que la musique est au service des paroles et non l'inverse.
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