Faut-il avoir peur d’être amoureux ?
Type : Dossier
Thème : L'Amour
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 51
Publié sur Lueur le
Frédéric et Caroline Marchal travaillent dans l'association Vie & Famille depuis 1992. Face à la déroute de tant de couples aujourd'hui, Frédéric s'interroge. Et si une certaine conception de l'amour, un amour idéalisé, romantique, où seul le coeur décide, expliquait bien des échecs conjugaux ? Cet amour-là, cependant, n'est peut-être ni le plus profond, ni celui auquel nous exhorte l'Évangile.
« Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants »
La formule est dans nos mémoires, pour avoir conclu bien des contes de notre enfance. Curieusement, l'histoire se refermait toujours sur ce qui n'était au fond qu'un commencement. Comme si seul pouvait avoir un intérêt la rencontre de deux coeurs. La vie du couple serait-elle si banale pour ne pouvoir prétendre être le sujet d'un conte ? À moins qu'il ne soit déraisonnable de la décrire car ce serait prendre le risque de s'enfermer dans l'histoire d'un échec annoncé puisqu'« il ne peut y avoir d'amour heureux ». Que veut dire alors la Parole de Dieu lorsqu'elle déclare : L'amour est fort comme la mort ( ) Les grandes eaux ne peuvent éteindre l'amour et les fleuves ne le submergeront pas (Ct 8.6-7) ?
À bien y réfléchir, l'amour reste ce sujet mystérieux à propos duquel on balance toujours entre grandes formules définitives et tâtonnements incertains.
De quoi souffre le couple aujourd'hui ?
Comment l'amour conjugal peut-il durer ? Notre génération est bien perplexe devant ces questions et même si le désir de voir l'amour durer est toujours aussi tenace, le triste constat de tous les couples qui nous entourent et qui finissent par se séparer nous rappelle à la réalité.
On s'est autant marié en France en 2000 qu'en 1900 (300.000 mariages), mais si un couple sur quarante seulement a divorcé il y a cent ans, un sur trois se séparera parmi ceux qui auront débuté ensemble le 3éme millénaire.
De quelle maladie serait donc atteint le couple contemporain pour ne pas pouvoir mieux survivre au temps que nos grands-parents ? La comparaison entre les générations a certes bien des limites : on se souvient bien sûr que beaucoup de familles ont été déchirées par « la grande guerre » qui a fait des millions de victimes. Par ailleurs nos aïeux n'ont pas connu notre exceptionnelle longévité et ils n'ont donc pas eu, autant que nous, la possibilité de vieillir ensemble.
On peut avancer mille raisons pour tenter d'expliquer la fragilité du couple 2000 : le stress de la vie moderne, le manque de temps, la compétition qui oblige chacun à se surpasser dans son activité professionnelle (et à être donc moins disponible pour son conjoint), l'égoïsme (spécialement masculin), l'individualisme de notre génération
Les raisons ne manquent pas et sans doute contribuent-elles toutes à la déroute du couple, mais je ne crois pas que la raison fondamentale se trouve dans cette rapide énumération de nos maux.
Ce qui distingue le plus radicalement le couple 1900 du couple 2000 ce sont les motifs même du mariage.
La révolution a été douce mais le résultat est incontestable : les raisons de l'union conjugale ont considérablement évolué au cours du siècle. Le phénomène a tout d'abord été diffus, discret, pour finalement s'imposer dans les années cinquante : après des années de privation et de séparation, ce qui a poussé les hommes et les femmes à s'unir, ce qui a fait irruption dans la vie des couples et a semé le désordre dans les vies et les coeurs, c'est l'amour !
Le sentiment amoureux est devenu LE motif de mariage de ceux qui veulent unir leurs destinées : « C'est parce que je suis éperdument amoureux de toi, parce que jamais personne n'a aimé comme nous nous aimons, que je t'épouse ». Et c'est précisément parce que l'amour est devenu le fondement du mariage que nos couples sont à ce point fragiles : en effet, si c'est au nom de l'amour que je me marie, devrais-je rester avec celui (ou celle) que j'ai choisi, lorsque cet amour s'en va ? Si l'amour est LA raison de mon union, pourquoi resterais-je si, avec le temps, la passion qui m'animait s'étiole ou si, plus radicalement, mon coeur s'enflamme pour quelqu'un d'autre ?
À cause de cela nos contemporains considèrent de plus en plus la vie affective comme une succession de monogamies, car au fond on n'est plus sûrs de pouvoir durer ensemble. Quant à la séparation, elle n'a plus le caractère d'impossibilité qu'elle avait pour nos parents : « Si on ne s'entend plus, on pourra toujours divorcer » est devenu une formule sur les lèvres de ceux qui veulent quand même s'engager.
Car on attend beaucoup du mariage : être accueilli, aimé, choyé, compris, entouré, cajolé, consolé, écouté Et si, avec le temps, le contrat n'apporte pas ce que l'on attendait de lui, on pourra tout simplement reprendre sa liberté.
Que le foyer conjugal soit le lieu où l'amour, la paix, la joie d'être ensemble sont recherchés n'a rien d'anormal, mais les difficultés viendront si chacun s'attend plus à recevoir qu'à offrir.
Le couple peut mourir d'avoir été trop rêvé
Si j'attends de mon conjoint qu'il me soigne, me répare, me réconcilie avec moi-même et me rend le goût de la vie, la déception sera inévitable car personne, sinon Dieu, ne peut satisfaire de telles exigences. À attendre tout de l'autre, on court le risque de ne jamais vivre un amour mature, où l'on est sujet (acteur) et non plus objet (recevant l'amour de l'autre) comme c'était le cas lorsqu'on était bébé. Être aimé, accueilli, cajolé comme maman le faisait alors que je ne pouvais pas exprimer mes besoins, voilà peut être le fantasme inconscient dans lequel je suis encore empêtré. Seule la parole de Dieu, avec sa force et sa sagesse, pourra me montrer un chemin sur lequel le Seigneur me précède. Je pourrai alors marcher à sa suite, humblement, en comptant sur sa grâce pour me régénérer.
Mais alors pourquoi nos grands-parents se mariaient-ils si ce n'était pas par amour ?
Qu'est-ce qui motivait leur union ? Il y a cent ans on se mariait peu par amour. Le plus souvent, un accord avait été trouvé entre deux familles. Ce sont ceux qui avaient autorité sur les jouvenceaux qui jugeaient bonne telle ou telle union. Le mariage n'était donc pas une affaire de sentiment. La question essentielle était de savoir si elle et lui seraient capables de s'entendre, de se compléter et de faire prospérer ensemble le patrimoine familial. Le mariage était d'abord une recherche de l'intérêt des familles et de l'accord des personnalités.
Le contexte social se prêtait assez bien à cette habitude matrimoniale : les familles vivaient la plupart du temps à proximité les unes des autres et ainsi les jeunes gens, comme leurs aînés avant eux, apprenaient à se connaître dès le plus jeune âge et à s'éprouver l'un l'autre.
Dans la France rurale du 19ème siècle où l'on voyageait encore peu, (on pouvait être de parfaits étrangers d'un village à l'autre), où la télévision n'avait pas encore envahi l'univers culturel des foyers, le mariage était encore marqué par la notion de devoir; devoir dû au groupe, devoir de solidarité et devoir de pérennité. Dans ce contexte, il n'était pas rare d'ailleurs que les mariages soient tous simplement arrangés par les familles, sans même que l'assentiment des futurs mariés soit recherché. On se mariait plus pour faire une fin que pour trouver le bonheur à l'âge où il était temps de se marier.
Nos aïeux ont-ils été plus malheureux que nous pour autant ? Peut-être pas. S'unir avec quelqu'un que l'on n'avait pas résolument choisi mais avec lequel on envisageait de passer le reste de sa vie supposait une vraie démarche d'accueil de l'autre, rendue possible par le fait que l'on se connaissait la plupart du temps.
Cette pratique reste encore largement répandue dans le monde. Les marieuses de nos grands-parents, qui nous font sourire aujourd'hui, officient toujours dans de nombreux pays du globe. Faut-il revenir à ces pratiques ? Sûrement pas ! Mais peut-être pouvons nous considérer avec un peu moins de dérision ce qui reste un mode d'emploi conjugal largement utilisé sur la planète.
Le mariage est comme une soupe...
Les Hindous décrivent à leur manière ce qui distingue leur mariage du nôtre : « Le mariage est comme une soupe. En occident, elle est servie bouillante et elle refroidit. En Inde, elle est servie tiède et elle se réchauffe entre les mains de ceux qui la boivent ».
Pouvons-nous imaginer que l'amour viendra avec le temps ? Assez peu dans notre culture il est vrai ! Mais sans vouloir faire l'apologie d'un système matrimonial qui avait ses limites ou considérer comme sans prix ce merveilleux cadeau que le Père nous a fait d'être amoureux, qu'est-ce qui a tellement changé depuis nos grands-parents ?
La désagrégation du lien social lié à l'exode rural, cet abandon des campagnes (et donc des familles) pour aller investir les villes, a jeté dans l'isolement des générations entières de jeunes gens à marier. Dès lors, si les familles ne se connaissent plus, si je ne sais rien de celui (ou celle) que je rencontre, sur quels fondements pourrai-je construire ma relation avec l'autre, en vertu de quels critères vais-je me décider à l'épouser ?
Mon coeur seul, dès lors, sera mon unique conseiller. C'est lui qui dictera sa loi. Il deviendra le seul capable de me donner le bon conseil car il ne peut pas se tromper, lui seul sait ce qui est bon pour moi !
Mais combien de fois notre coeur se révèle-t-il être un sage conseiller ? L'amour seul aujourd'hui, pardon, le sentiment amoureux, dicte sa loi.
En réalité, pour pouvoir durer, le mariage doit se souvenir de sa vocation
Cette vocation, c'est vouloir rendre heureux celui ou celle pour qui je me suis décidé(e). Le mariage n'est rien d'autre qu'une promesse qui a été faite un jour : celle d'être toujours là, d'aimer et de chérir, dans les bons et dans les mauvais jours, dans la prospérité comme dans l'adversité, dans la santé comme dans la maladie. Et peut-être aurons-nous alors le privilège de découvrir ce trésor : Celui qui aime sa femme s'aime lui-même (Ep 5.28).
Et dans toute cette histoire à écrire à deux, qu'il est bon de se souvenir que Jésus lui-même marche avec ceux qui ont été assez fous pour se promettre amour toujours, car lui seul est le oui de toutes les promesses de Dieu (2 Co 1.20).
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Et si une certaine conception de l'amour, un amour idéalisé, romantique, où seul le cœur décide, expliquait bien des échecs conjugaux ? Cet amour-là, cependant, n'est peut-être ni le plus profond, ni celui auquel nous exhorte l'Évangile.
En réalité, pour pouvoir durer, le mariage doit se souvenir de sa vocation
Cette vocation, c'est vouloir rendre heureux celui ou celle pour qui je me suis décidé(e). Le mariage n'est rien d'autre qu'une promesse qui a été faite un jour : celle d'être toujours là, d'aimer et de chérir, dans les bons et dans les mauvais jours, dans la prospérité comme dans l'adversité, dans la santé comme dans la maladie. Et peut-être aurons-nous alors le privilège de découvrir ce trésor : Celui qui aime sa femme s'aime lui-même (Ep 5.28).
Et dans toute cette histoire à écrire à deux, qu'il est bon de se souvenir que Jésus lui-même marche avec ceux qui ont été assez fous pour se promettre amour toujours, car lui seul est le oui de toutes les promesses de Dieu (2 Co 1.20).