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Réflexion spirituelle sur les soins palliatifs

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Type : Dossier
Thème : Santé & Psychologie
Source : Aimer & Servir
Réf./Date source : n°99  
Publié sur Lueur le

Fondement

Notre réflexion s'inscrit dans un souci de considérer l'homme comme UN, centre intégrateur d'une dimension somatique, psychologique, relationnelle, spirituelle et religieuse.

Notre paradigme pourrait se résumer en "projet de vie, projet de soins". Notre conception des soins palliatifs s'inscrit entre modernité (technicité) et tradition humaniste dont se réclame depuis près de 150 ans la Maison de Santé Protestante de Nîmes, qui pourrait se résumer aisément dans l'expression d'un "savoir faire, d'un savoir être". Cette alliance permet d'avoir une approche globale de la personne, dans la lignée d'une médecine de la personne.

L'épreuve de l'homme mourant peut se situer sur trois plans :

  • celui de l'unité de soi et de son rapport à son corps qu'il saisit dans le dysfonctionnement de son être et dont il n'a plus la maîtrise.
  • celui de la place indispensable de la relation interpersonnelle pour exister comme personne qu'il perçoit à travers les différentes ruptures.
  • celui de la finitude de son être, qui fait éclater le caractère inachevé de sa vie, c'est un temps de mutation qui fait découvrir la fragilité, la précarité, la vulnérabilité de toute existence.

Domaine de définition

Le spirituel n'est pas logé dans un coin secret de notre être, il fait partie intégrante de notre vie. Il est une dimension de l'humain sans être nécessairement qualifié par une appartenance religieuse. On peut imaginer qu'il y a des besoins de l'esprit comme il y a des besoins physiologiques qui ne se réduisent pas au seul biologique. Le besoin est de l'ordre des nécessités vitales, il s'exprime à travers une demande, il se repère à partir d'un manque d'harmonie et d'une carence.

Le spirituel est cet espace en soi, espace non codé où chaque individu s'interroge sur le sens de sa vie, de sa présence au monde, sur l'éventualité d'une transcendance. Il est le principe de vie qui envahit tout l'être, qui intègre et transcende sa nature biologique et psychologique : c'est encore parler de ce lieu où l'homme dit le désir de son coeur. "C'est l'endroit le plus secret de la personne" C. Saunders. C'est ce qui tient à "l'essence même de la vie" Y. Johannot. Tout soin inclut dans sa relation humaine le spirituel.

Besoins spirituels

Besoins cognitifs

  • Besoin de reconnaissance, de connaissance à soi même.
  • Besoin de comprendre les actes qui lui sont faits, d'en mesurer les incidences et les finalités.
  • Besoin de savoir la gravité de sa maladie.
  • Derrière les besoins cognitifs, se cachent un besoin de communication et d'empathie.

Besoins existentiels

  • de partager, de dire la conscience qu'il a de la gravité de son état de santé,
  • d'une présence qui puisse décoder les paroles, ses silences, son regard, qui le coupe de sa solitude,
  • besoin de se réconcilier avec son existence,
  • besoin de reparler du passé (prendre du temps de faciliter cette relecture, cette réévaluation),
  • de réaffirmer ses convictions, de réaménager son échelle de valeurs,
  • d'être reconnu pour ce qu'il est avec son passé, ses compétences, son statut social, ses idéologies, sa foi,
  • pouvoir remettre son existence à quelqu'un qui lui permette de faire la synthèse de sa vie.

   - Besoin de relire sa vie

L'approche de la mort est une remise en question radicale, le grand malade vit les évènements avec une certaine acuité.

La mort est un temps de mutation, ce que l'on ne peut faire, il faut l'être, d'où l'importance de la relecture de sa vie.

Cette relecture fait ressortir les problèmes qui sont latents, les chocs émotionnels, les conflits ressurgissent avec violence. Désir de remettre de l'ordre dans ce qui est manqué envers soi même. Besoin d'harmonie, de réconciliation. Relire sa vie c'est trouver ce qui en a fait la cohérence, c'est également ordonner ses pensées afin de trouver son fil d'Ariane.

Le mourant a un besoin fréquent de reparler du passé pour revivre les moments de joie et de bonheur, et pour mieux les savourer. Il est donc important de mettre l'accent sur les choses qui ont donné du plaisir, mais aussi les choses qui ont été les plus douloureuses. La relecture de sa vie permet des prises de conscience : l'appartenance à un groupe, à une identité, à une famille religieuse.

Le mourant n'a pas individuellement d'avenir, il fait jouer avec force les solidarités, les descendances, afin de mieux résister ou de se rendre indispensable. A travers cette amnanèse, le malade prend conscience que la science n'est pas toute puissante, que son corps menacé lui fait découvrir l'existence comme vulnérable, précaire et fragile. La défection du corps l'invite à distinguer l'attachement à l'existence d'un simple attachement à la vie biologique.

Relire sa vie ne vise pas directement et immédiatement les comportements mais aussi la relation fondatrice de tout être. Certes tout n'est pas possible, l'accompagnement dégage un espace de liberté et non un espace infini, certains espaces ne seront probablement jamais libérés, ils sont liés à des zones névrotiques, des barrières caractériologiques, des handicaps physiques, à des impossibilités sociales ou religieuses. Chaque être humain confronté à ce travail ultime est seul à pouvoir dire le but qu'il poursuit, notre rôle se situera dans les moyens donnés, dans les outils qui permettront au malade "de se prescrire en vérité".

   - Sentiment de culpabilité

Le sentiment de culpabilité est l'un des composants qui s'est glissé insidieusement dans tous les lits des malades. Ce sentiment échappe à la logique rationnelle, il est sans aucun doute l'un des plus fondamentaux de la vie affective et spirituelle dans ses expressions personnelles. La mort éveille ce sentiment de culpabilité. Il peut s'expliquer dans le fait que l'on n'arrive pas toujours à avoir à sa disposition une explication causale de la maladie grave, on ne supporte pas de rester sans réponse aux pourquoi existentiels (savoir c'est une façon de maîtriser, de dominer l'évènement).

Pour éviter le non sens de la mort, l'homme a besoin de trouver un responsable ou un coupable pour s'attribuer une part de responsabilité. Comment gérer et laisser un patient avec sa plainte ou comment cheminer avec lui ? Ou avec quelque chose qui n'est pas forcément vérifiable et qui peut entraîner le fatalisme. Nous pensons que l'homme est "coupable" non par un comportement concret, mais par sa participation à l'être. Son état de créature mortelle devient source d'angoisse liée, moins à la crainte d'une punition qu'à l'évidence de ses limites, de sa finitude. La culpabilité "désharmonise" l'homme avec lui même.

   - Rupture de la relation avec l'autre

La rupture de la relation avec l'autre mais aussi avec soi même conduit le malade à un manque d'amour, à une angoisse vive et profonde qui mord sur notre besoin d'être aimé et d'être doté de valeur. Ainsi, échecs, mépris social, humiliations, nous dévalorisent, provoquant en nous le sentiment d'avoir "râté" la réalisation de notre vie, rupture de la relation avec Dieu quand la référence est une croyance.

L'accompagnateur constitue de ce fait une instance critique positive, chaque intervenant doit se situer dans sa discipline d'où l'importance du statut et de l'équipe pluridisciplinaire, mais aussi d'avoir une vision globale de l'être humain en tant que créature dans sa simultanéité et son paradoxe.

Besoins émotionnels

La mort est l'une des dernières crises existentielles. Le mourant vit cette étape avec une grande intensité affective, il a besoin à la fois d'exprimer sa peur, sa tristesse, son désespoir, mais aussi il ressent le désir de vivre d'autres expériences sur le plan affectif, d'accoucher à d'autres comportements. Face à cette épreuve, le malade recherche des compagnons pour pouvoir assumer ses pertes, ses peurs.

Les pertes :
Au niveau de l'image de soi. Toute altération du corps amène une altération de l'identité, cette image est également altérée au niveau de son autonomie et de son pouvoir. Le corps refuse de se plier à ses désirs.
Au niveau relationnel, le changement des rapports à soi même bouleverse le tissu relationnel avec les autres ; l'apparition de phénomènes régressifs et fusionnels peuvent créer des décalages et une grande solitude. La maladie inverse les rôles et les fonctions (dépendance, autorité...). Les peurs des causes objectives (l'inquiétude d'une jeune mère laissant ses enfants ou des parents âgés), de la déchéance liée à la dignité, de l'inutilité, d'être abandonné, de souffrir, de la dépendance de n'être plus autonome.

Une démarche religieuse

Il faut signaler que, historiquement, la démarche spirituelle n'a existé qu'à l'intérieur d'une tradition religieuse qui avait le monopole du sens. A ce jour, nous considérons que le discours religieux induit implicitement toutes les aspirations de l'homme et, par voie de conséquence, tous les besoins spirituels.

Ainsi donc, même si, comme croyant, nous savons que le contenu de notre espérance ne peut être l'objet d'une démonstration apodictique, nous prenons en compte trois aspects majeurs : l'authenticité, la plénitude, l'harmonie. Toute donnée de la foi doit s'enraciner dans le réel incluant notre mort.

Le contenu de notre espérance n'est plus exclusivement centré autour de notre condition humaine qui se sent aliénée par un corps souffrant. Cette espérance est orientée vers un répondant, un référant qui déplace le centre de gravité de notre vie pour nous diriger vers une Parole venue d'ailleurs qui remodèle nos espoirs, qui n'est pas simplement "l'autre monde" : nous plaçons notre problématique sur le plan ontologique.

Le travail religieux contient souvent une projection vers l'au delà de soi-même, cette projection s'exprime

  • tantôt en termes rationnels : le souvenir qu'on laissera de soi-même, les oeuvres réalisées, les liens familiaux,
  • tantôt en termes irrationnels : de manière intuitive dans une intense recherche de vérité ou dans l'adhésion à une foi religieuse. Ce travail spirituel nécessite une réflexion intense et entraîne le malade à chercher un interlocuteur (un témoin) prêt à entrer en relation : qu'il soit un faire face qui lui permette de poser ses questions.

Notre démarche religieuse se veut une "proposition" dont la réponse ne précède pas la demande.

Le mourir intensifie :

  • le religieux, le désir d'infini, d'universel,
  • le retour de l'identité confessionnelle,
  • le désir de retrouver les siens dans l'au delà

Notre conviction est que le religieux est à ce point inséré dans le tissu des rapports psychologiques que sa pathologie relève souvent de la causalité psychique. L'homme est engagé dans un réseau de signes, d'objets, de langage ; à travers eux il exprime ses pulsions qui se traduisent à travers des références. La vie religieuse s'inscrit aussi dans la vie psychique et impose un travail de spiritualisation. La religion n'est pas uniquement un système d'idées extérieures. Elle trouve racine dans son être intérieur. Le religieux apparaît donc comme une réalité de relation mais aussi une force dont le mourant a besoin pour cheminer. Dans sa recherche de sens, le mourant cherche à se relier à une présence qui le reconnaisse en tant que créature ; de ce fait, le religieux renvoie l'homme devant le "tout autre" que nous nommons Dieu et qui a pour référant le Christ. Dans ce "labeur de l'âme", nous considérons que la foi a une valeur thérapeutique qui permet de libérer l'homme de lui même pour secréter de nouveaux types de comportements.

La foi n'est jamais un acquis, elle se reçoit, elle s'accueille. L'approche de la mort peut provoquer cet appel à la foi. Le mourant ressent le besoin d'enraciner son existence dans une transcendance qui lui dise que sa vie ne saurait être engloutie dans le trépas et la prolonge aussi au delà de la mort. Cet appel est ouverture vers quelqu'un, vers l'avenir, donc créature d'espérance.

Les rites (gestes, symboles, langages...) sont là pour apprivoiser la mort, ils permettent de faire vivre dans le réel ce qui nous semble être extérieur à nous même, ils favorisent les passages et permettent aux mourants de convertir leur angoisse en confiance dans les tout derniers moments qui précèdent la mort et qui s'inscrivent dans une dynamique de séparation et de communion. La conception théologique qui sous tend notre démarche est basée sur l'idée que toute la Bible définit l'homme comme un être de relation. Ne pas avoir de relation, c'est cesser d'exister. Un être peut mourir socialement avant de mourir, biologiquement. C'est dans ce contexte que nous postulons pour "des soins palliatifs".

Finalités

Une démarche d'accompagnement

Cette démarche répond à l'attente des mourants dans le sens d'aller avec quelqu'un, jusqu'où il va rester avec, accompagner le mouvement sans jamais le précéder, se faire compagnon de route, se rendre proche, être en devenir.

Le mourir est un chemin où le mourant peut s'engager seul, ou nous demander d'en être les témoins. L'accompagnement spirituel se situera principalement sur les quand et les comment, en déplaçant le pourquoi initial en une proposition finale (pour que).

Un cadre d'écoute

L'écoutant est celui qui crée un espace de liberté afin que le malade sorte de lui même pour aller ailleurs.

L'écoute est l'un des moyens privilégiés : elle permet d'entendre la peine, la révolte, de libérer la parole c'est permettre au malade de verbaliser son problème, de le prendre en compte, c'est aussi lui donner les moyens d'exister comme sujet, c'est le reconnaître comme une personne.

L'écoute permet également de soulager l'angoisse et de passer à un autre registre émotionnel ainsi que d'évoluer dans les divers stades du mourir.

Un soutien dans le deuil

Nous empruntons à Bowlby la définition du deuil comme "l'ensemble des processus psychologiques qui sont mis en train par la perte d'un objet aimé, et qui aboutissent couramment à ce que le sujet renonce à cet objet".

Notre perspective ne porte pas exclusivement sur la mort mais également sur l'acceptation de la mort au bénéfice d'une relance de la vie des survivants. Nous sommes convaincus que le déroulement d'un deuil dépend étroitement de la façon dont nous avons vécu nos séparations fondatrices, d'où l'importance d'un accompagnement dans le processus du mourir. Notre travail est également d'aider le mourant à faire des pertes, des ruptures en rapport à son histoire, ses relations, ses postulats.

Accompagner la famille du mourant à partir d'un double objectif :

  • rassurer celui qui va mourir sur le devenir de sa famille,
  • établir des liens privilégiés avec la famille de façon à pouvoir les aider avant, pendant, après la mort. Ce soutien permet au deuil anticipé de faire son travail. Cette démarche peut être une réponse de prévention au deuil pathologique en sachant que 50 % des personnes frappées d'un deuil sont atteintes de maladies graves dans les mois qui suivent le décès d'un proche, que souffrent de dépression, et près de 46 % de personnes interrogées lors d'un sondage IFOP déclarent souffrir d'un deuil ancien, plus ou moins résolu.

Notre souci est :

  • de permettre aux familles de verbaliser leur affectivité, d'apprendre à porter la douleur, la souffrance (la métaboliser), de porter la réalité de la séparation,
  • de permettre de libérer le champ de la culpabilité,
  • de contribuer au temps de réadaptation, donner les moyens de se tourner vers l'avenir,
  • d'aider à éviter l'installation d'un état mélancolique qui rentrerait dans un deuil pathologique.

En définitive, nous souhaitons permettre au patient une mort vécue et acceptée de l'intérieur, accordée aux dimensions réelles de la liberté, qui n'est pas tout mais qui n'est pas rien, une mort réconciliée parce que proportionnée à notre finitude. Le projet de l'aumônerie est également de participer aux aspects de la santé publique sous toutes ses formes préventives, curatives et palliatives.

Nous considérons que les soins palliatifs ne sont pas une médecine au rabais ou de luxe mais une réponse à l'acharnement thérapeutique et à l'euthanasie. Ils se situent dans un projet de soin et dans un projet de vie, dans un courant de solidarité humaine. Ce courant donne son sens à la mort, mais aussi à la vie.

En fait, le mourir, qualifié de dernière crise existentielle de l'homme, questionne le rôle de chaque intervenant auprès du malade, chaque discipline revendique son champ d'action, le degré et la légitimité de sa compétence.

Yves CHAMBAUD (Aumônier des hôpitaux de Nîmes)

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