La force de vivre du handicapé
Type : Témoignage
Thème : La souffrance
Source : Aimer & Servir
Réf./Date source : 96
Publié sur Lueur le
Congrès national de l'ASEv, avril 1993. Avec nos remerciements.
Le crabe ou la noyade !
J'ai du mal à croire que je suis paralysée depuis 25 ans. Certains d'entre vous ont peut être vu le film de mon histoire : j'avais 17 ans et en plongeant imprudemment j'ai heurté le fond et me suis brisée la nuque. J'essayais de retenir ma respiration en espérant que quelqu'un viendrait à mon secours. Ma soeur était déjà arrivée sur la plage quand un crabe lui a mordu l'orteil. Alors elle s'est retournée et m'a crié : "Joni fait attention aux crabes". C'est ainsi qu'elle vit que je n'avais pas suivi et elle se mit à me chercher.Je remercie Dieu pour ces crabes. Je suis convaincue que cela illustre la souveraineté de Dieu : il y avait peut être une chance sur un milliard que ma soeur soit mordue par un crabe juste à ce moment là.
Mais sur mon lit d'hôpital, je ne pouvais reconnaître la souveraineté de Dieu : au contraire j'étais furieuse contre Lui.
Comment ce qui m'arrivait pouvait prouver sa bonté ? N'aurait il pas pu mettre deux anges pour me garder ? Voilà de véritables questions. Vous êtes vous jamais demandé si le handicap met Dieu mal à l'aise ? Lorsqu'un enfant naît avec des malformations est-ce un hasard ? Qui contrôle toutes ces maladies et ces handicaps : est ce Dieu ou le diable ?
Si vous exercez un ministère auprès des handicapés, ce sont des questions que vous vous posez aussi. Peut être travaillez-vous auprès de sidéens ou de femmes battues ou dans l'accompagnement des mourants donc auprès de gens qui souffrent ? Vous vous posez les mêmes questions que moi à 17 ans face à ma paralysie.
Comment Dieu a-t-il permis cela ?
Dans mon lit d'hôpital, je ne cessais de ressasser mon accident. Je me revoyais sur le radeau avant de plonger et pensais que Dieu m'avait abandonnée : peut être avais je été désobéissante et Dieu préférait il s'occuper de chrétiens obéissants ou de la guerre au Vietnam ou des cancéreux ou d'accomplir une prophétie biblique au Proche-Orient ?Je me disais que Dieu s'était détourné de moi et que Satan avait sauté sur l'occasion pour me pousser à l'eau. Il jubilait de me voir paralysée et disait : "J'ai complètement détruit la vie de cette jeune fille ainsi que sa foi". Je pensais que Dieu se demandait ce que le diable avait encore fait et comment Il me tirerait de la situation pour changer le mal en bien pour la Gloire de Son Nom. Dieu devait chercher dans sa boîte à outils un pansement pour ma vie et de toute façon mon handicap devait être un réel problème pour Lui.
J'avais l'impression d'être l'enjeu d'un combat entre Dieu et le diable, un sorte de bras de fer : quand je déprimais, je pensais que Satan avait le dessus et quand j'arrivais à rire que c'était Dieu. Je ne cessais d'avoir des "hauts et des bas".
La vision de Dieu que j'avais à cet âge là est commune à beaucoup de personnes. De tous temps les hommes se sont posés de telles questions : bien sûr je ne prétends pas répondre à toutes mais en vingt cinq ans de fauteuil roulant j'ai pu y réfléchir et trouver des réponses satisfaisantes.
Des exemples à méditer
Regardons d'abord ce qui est arrivé au Seigneur Jésus Lui Même. Qui contrôlait les choses lorsqu'Il était sur la croix ? Dieu ou le diable ? La majorité d'entre nous pense que c'est le Père. Et pourtant c'est Satan qui a poussé Judas Iscariote à vendre Jésus pour trente pièces d'argent, qui a inspiré la sentence de Ponce Pilate, les cris de la foule pour obtenir la crucifixion de Jésus et les brutalités des soldats. Comment toutes ces choses là : injustice, torture, meurtre, peuvent-elles être la volonté de Dieu ?Dans Ac 4.28, il est dit : Pour faire tout ce que ta main et ton conseil avaient arrêté d'avance. En agissant ainsi Satan a été pris à son propre piège car la volonté de Dieu était que ce meurtre permette le salut de tous. Le ciel et l'enfer étaient présents : parfois on peut imaginer que Dieu et le diable veulent la même chose en même temps mais pour des motifs différents. Les buts du diable étaient d'empêcher la rédemption. Dieu s'arrange toujours pour que les projets du diable avortent afin que les siens puissent se réaliser. Voilà ce que le Père a fait à la croix en ouvrant les portes du ciel à tous pour Sa Gloire.
Comment Dieu se débrouille-t-Il ? C'est un grand mystère. Dieu nous donne juste ce qu'Il faut pour voir l'intérieur de son projet et satisfaire notre foi. Cela m'a encouragée dans mon handicap. J'ai pu m'identifier aux souffrances du Christ sur la croix et fortifier ma foi. Les desseins du diable pour moi étaient la tristesse, le malheur, le désespoir, l'amertume, la colère. Satan espérait que ma chaise roulante ridiculiserait la bonté de Dieu. Mais les projets de Dieu à mon égard étaient différents. J'admets qu'Il a pu permettre mon accident pour transformer une jeune fille têtue en une jeune femme reflètant Sa gloire. Dieu avait ses raisons que l'on ne peut pas toutes comprendre car Il ne dévoile pas tout.
Bien plus, nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l'affliction produit la persévérance (Rm 5.3). J'aime bien cette phrase de l'apôtre Paul qui lui aussi avait un handicap. C'est vrai que parfois je suis découragée mais pas déçue.
Choisir sa réaction
Je ne peux rester dans ma chaise que quelques heures. Mon époux me met au lit vers 19 h 30. En position couchée, je ne peux rien faire. Je passe donc trois heures sans bouger ! C'est dur mais c'est bon et je peux m'en réjouir. Ces trois heures sont merveilleuses car je les passe en communion avec le Seigneur Jésus. J'ai l'impression que les prières d'une paralysée ont une puissance spéciale pour Dieu. C'est comme si ces prières étaient un sacrifice. Je reste persuadée que je n'aurais pas été si proche de Dieu en étant valide. Ma souffrance a produit la persévérance, la persévérance la force et la force l'espérance. On n'est pas déçu quand on a la force de Christ en soi.Je ne suis pas en train de magnifier la souffrance. Nous n'avons pas à rechercher la souffrance mais à choisir Dieu et lorsque nous Le choisissons nous triomphons du diable. La souffrance en elle même est plutôt neutre. La même allumette peut allumer un barbecue mais aussi incendier toute la forêt. C'est comme le sexe : la sexualité mal utilisée produit destruction et souffrance alors que la sexualité dans le mariage peut apporter joie et épanouissement. C'est ce que nous choisissons dans la souffrance qui compte : soit vivre dans les plans de Dieu, soit ceux du diable avec la colère et l'amertume.
Dieu nous laisse choisir mais Il se tient de notre côté par Sa grâce. A des gens qui souffrent comme moi, Il donne des amis qui persévèrent dans la prière. Nous nous encourageons mutuellement et ainsi la souffrance s'articule au corps de Christ.
La Grâce
Il a dit aussi : Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi (2 Co 12.9). C'est ce que j'ai partagé avec vous jusqu'à maintenant. Récemment, j'ai entendu une bonne définition de la grâce : "Lorsque Dieu nous donne sa grâce, voila ce qu'Il fait, Il nous donne le désir et la puissance d'accomplir sa volonté". Cela veut dire qu'Il nous donne une puissance miraculeuse pour faire Sa volonté. Mais Dieu n'accorde pas Sa grâce aux orgueilleux à qui Il résiste, mais aux humbles. La souffrance vous conduit à devenir humble devant Dieu. Le matin, mon mari doit me baigner, m'habiller puis m'installer dans la chaise. Une amie vient me brosser les dents et me coiffer. Dans un certain sens, cela me prépare à recevoir la grâce de Dieu : lorsqu'il faut dépendre des autres pour les choses les plus élémentaires, vous apprenez à dépendre de Dieu.Je connais mes besoins et tous les jours Dieu me rappelle combien j'ai besoin de Lui. Cette réalité physique m'enseigne une réalité spirituelle. C'est avec joie que Dieu déverse Sa grâce sur les faibles. On trouve ce thème dans toute la Bible. Gédéon reçoit l'ordre de combattre les 135.000 Madianites et pour cela de réduire son armée à 300 hommes. Dieu le met dans une position très défavorable, tout comme David, jeune berger, choisi pour affronter le géant Goliath. Cela nous semble être des aberrations stratégiques. Dieu avait promis à Abraham qu'il serait le père d'une nation innombrable mais sa femme avait près de 90 ans. Un peu tard pour commencer une famille.
Pourquoi Dieu a-t-il fait cela ? Le monde doit savoir que c'est Dieu qui agit quand Gédéon bat les Madianites, quand David tue Goliath, quand Sarah accouche d'un garçon à 90 ans... Ce n'est ni par la puissance, ni par la force, mais c'est par mon esprit, dit l'Eternel des armées (Za 4.16). Extraordinaire : Il a fait des merveilles de cette façon. Beaucoup de choses sont tellement tristes et douloureuses : un bébé malformé, une femme battue par son mari, un orphelin, un réfugié, un malade atteint du SIDA, un mourant qui souffre... Dieu ne laisse personne dans le désespoir et Il est prêt à déverser Sa grâce pour donner de l'espérance et un sens à la vie. Les gens dans mon cas ne peuvent recevoir cette connaissance profonde de Dieu s'il n'y a pas des gens comme vous pour les accompagner. Le rôle des personnes qui aident les malades est donc très important.
Reconnaissance malgré tout
Quand j'étais sur mon lit d'hôpital en butte aux questions sans réponses, il a fallu que quelqu'un vienne me communiquer de l'amour. Que serai je devenue sans ces chrétiens qui ont prié pour moi, qui m'ont lu des versets de la Bible? Ils ne venaient pas me faire des sermons mais ils m'aimaient et mettaient en pratique leur foi en me mouchant ou en me brossant mes dents. C'est Dieu qui les a convaincu de venir auprès de moi. Ils ne me traitaient pas comme une invalide mais comme une personne. Dieu a utilisé leur amour et petit à petit j'ai compris l'amour de Dieu. Je me souviens d'un jeune ami qui m'encourageait à remercier Dieu dans toutes les circonstances. Je lui ai dit que je ne pouvais le remercier pour ma paralysie complète à vie. Il m'a répondu de commencer par les petites choses. Alors le lendemain j'ai remercié Dieu pour la nourriture tiède, pour l'absence de l'infirmière désagréable, pour mon lit situé près de la fenêtre d'où je pouvais voir la lune la nuit. J'ai rendu grâce pour mes amis chrétiens, pour leur sourire. Voici les choses pour lesquelles vous pouvez être reconnaissants quelque soit votre situation.Au bout d'un mois ou deux, j'ai remarqué un changement. Ce n'était pas facile : "deux pas en avant, un en arrière". Je commençais à sourire et mettais de moins en moins de personnes à la porte.
Alors j'ai pu rendre grâce pour des choses plus importantes, car ma foi grandissait, comme de pouvoir m'asseoir dans une chaise roulante. Ce qui est beaucoup mieux que de rester allongée pendant une année. Seigneur, je Te remercie pour cette chaise roulante.
Quatre ans plus tard, j'ai pu aller plus loin en ressentant pour le Seigneur, une profonde reconnaissance et j'ai réalisé les paroles de Rm 5.3 : Bien plus, nous nous glorifions même des afflictions, sachant que l'affliction produit la persévérance. J'étais transformée. Ce changement n'est pas dû à mes remerciements forcés mais bien aux chrétiens qui m'ont entourée, ont prié pour moi et m'ont communiqué l'énergie pour rendre grâce. C'est pourquoi il est fondamental de prier pour les personnes dont vous vous occupez. Dieu a agi dans mon coeur dans la mesure où Il agissait dans le coeur de ceux qui priaient pour moi. Je ne parle pas de prières sporadiques mais des intercessions persévérantes. Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres, contre les esprits méchants dans les lieux célestes (Ep 6.12). Le diable est toujours en train de rôder autour de nous comme un lion rugissant cherchant qui il dévorera. Un jour, j'ai été sa proie mais je loue Dieu car des chrétiens ont prié et j'ai reçu la force de lutter non contre ma paralysie mais contre le diable. Ma foi en Dieu est le résultat des prières des autres. Le responsable de mon église et deux camarades d'école s'étaient engagés à prier pour moi une heure par semaine pendant un an. Aujourd'hui je sens encore les répercussions de ces prières là.
La place de ceux qui souffrent
Pour terminer, je désire vous encourager dans votre travail pour aider les malades. Les gens qui souffrent n'ont plus d'espérance. Ils pensent être des victimes d'où leur colère et leur amertume. S'ils sont sous l'emprise des puissances des ténèbres, ils n'ont pas de force pour les contrer d'autant plus qu'ils n'y croient pas étant fermés au monde spirituel. C'est donc vous qui êtes les mains et la voix du Christ. Il y a évidemment un service très pratique : nourrir, habiller les sans abri, aider les femmes battues, accompagner les mourants... mais aussi un aspect spirituel avec la prière et la vie que donne la Parole de Dieu. De la même façon que la prière donne l'énergie, la parole de Dieu produit la vie et cela fait toute la différence pour des personnes dans mon état. C'est pourquoi je me réjouis pour ceux qui ont reçu le ministère d'aider les personnes handicapées.Quand je suis découragée et m'apitoie sur mon sort, je repense à deux ou trois de mes amis croyants et handicapés comme Cornélius un Noir du Tennessee qui vit grâce à l'assistance d'une machine et qui ne peut même pas bouger sa tête. Il fait fonctionner son appareil radiocassette en mordant des petits tubes. Il est dans cet hôpital depuis la fin de la guerre du Vietnam mais je n'ai jamais rencontré une personne plus vivante et heureuse. S'il était là, il parlerait bien mieux que moi. Je pense aussi à une jeune fille qui habite dans l'état de Washington. Elle a 20 ans et suit les cours de l'école biblique dans sa chaise. Elle est très petite mais son coeur est tellement grand qu'il lui tarde de devenir missionnaire. De tels exemples m'encouragent beaucoup et je pourrais en citer d'autres. Ces gens qui sont dans la souffrance, trouvent l'espérance et la paix en Christ et ainsi deviennent des lumières pour le monde incrédule. En voyant mon ami Cornélius, ils se disent : "Le Dieu de ce gars là doit être quelqu'un et dans la foi de cet homme, il y a quelque chose de vrai. Moi aussi, je veux le vivre".
Voilà pourquoi les gens qui souffrent ont leur place dans le corps de Christ. La souffrance est un mystère nécessaire dans ce monde jusqu'au retour de Christ. Je suis heureuse de savoir que les plans de Dieu triomphent car ils sont parfaits ; c'est pourquoi nous pouvons Le glorifier. Jésus dit que le dernier sera le premier et que le faible deviendra fort. Ce sont les forts en Christ qui sont sages et les humbles hériteront du royaume de Dieu. Les aveugles verront la lumière, les sourds entendront la Parole de Dieu, les paralysés marcheront avec le Seigneur et même les retardés mentaux auront la pensée de Christ. Que ce message puisse devenir votre message.
Commentaires (1)
Bonjour,
Je suis touchée par votre témoignage. En fait, il résonne très fort avec un homme, lui aussi paralysé, que j'ai transporté dans le cadre de mon travail. Je suis ambulancière. Je sentais sa tristesse, son déssaroi et en fut émue. J'ai écouté ce dont il voulait bien me partager. Je pense qu'une oreille est déjà qqle peu un "soulagement". Je ne suis bien sûr pas à vos places néanmoins je peux "un peu" imaginer la difficulté à accepter de ne plus pouvoir se mouvoir ou avec grande difficulté. Comme vous, son accident s'est produit en plongeant. Seule différence se fut en heurtant une falaise qui se trouvait sous l'eau (donc non visible). Je lui souhaite la même force d'esprit, le courage, la perséverance, l'amour envers le Christ et bien d'autres choses encore qui lui amèneront la paix du coeur et de l'esprit. Et beaucoup d'amour !
Tout le bien à vous 2.
Avec toute mon affection,
Nathalie