Etude sur le Cantique des Cantiques
3. Cantique des Cantiques : Etude analytique
Type : Enseignement
Thème : Commentaires Bible Annotée Neuchâtel
Source : Theotex
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Passons à l'étude analytique du poème.
Ewald l'a découpé en actes et en scènes ; M. Renan l'a également publié sous la forme de nos pièces de théâtre.
Cette opinion sur la forme du Cantique paraît, au premier coup d'oeil, l'opposé des notions anciennes qui le rangeaient dans le genre lyrique.
Le fait est qu'il y a tout à la fois de l'idylle et du drame dans ce poème. Et ce caractère mixte n'a rien qui doive nous surprendre.
Le choeur, dans la comédie et dans la tragédie grecque, n'appartient-il pas à cette forme lyrique primitive, d'où est évidemment procédé le genre dramatique ?
La poésie lyrique, en personnifiant les idées, tend à les transformer en êtres vivants. Note 3
De cette personnification métaphorique de l'idéal, jusqu'à son apparition, comme personnage réel, sur la scène où se joue le drame, il n'y a qu'un pas, et ce pas a été la transition du genre lyrique au genre dramatique.
Dans le Cantique, nous prenons cette métamorphose sur le fait.
C'est encore l'ode, le chant ; c'est déjà le dialogue, l'action. La lyre vibre, mais sur la scène. La vivacité du sentiment lyrique s'exalte jusqu'à la puissance de la création dramatique.
C'est quelque chose de semblable à ce qu'exprimait ainsi l'un de nos critiques :
Le poète dramatique doit conserver en lui le poète lyrique, mais dompté, et en quelque sorte muselé.
Melpomène et Thalie sont plutôt les filles que les soeurs d'Euterpe.
Il nous paraît que l'action, dans le Cantique, se déroule en trois actes, dont le premier a pour théâtre l'intérieur du palais de Salomon ; le second, la place devant le palais, puis le palais lui-même ; et le troisième, le jardin de la demeure de Sulamith.
Le sujet des deux premiers, c'est la double victoire remportée par la jeune fille, dans les deux épreuves auxquelles sa fidélité est exposée ; celui du troisième c'est son triomphe à la suite de cette victoire.
Le premier acte comprend la partie du poème qui va jusqu'à chapitre 3, verset 5.
Il se compose de quatre scènes, dont la première se passe entre Sulamith et les jeunes filles du harem et comprend les sept premiers versets du livre.
Sulamith, une jeune paysanne, (on le voit par cette parole verset 5 : Les enfants de ma mère se sont fâchés contre moi et m'ont mise à garder les vignes ) se trouve transportée dans le palais de Salomon.
Les jeunes filles de Jérusalem qui y habitent déjà, forment une espèce de choeur avec lequel s'entretient l'héroïne du poème. C'est une manière de mettre le lecteur au fait de la situation.
Ces jeunes filles célèbrent à l'envi la douceur d'être l'objet de l'attention d'un prince tel que Salomon. Dans leur enthousiasme, elles s'adressent à lui, quoiqu'il ne soit pas encore présent :
Tes amours sont plus douces que le vin. Tes huiles ont un parfum exquis. Ton nom est une huile qui se répand ; c'est pourquoi des vierges t'ont aimé. Tire moi après toi ; nous courrons.
Sulamith interrompt ce discours. On reconnaît le changement de personnage à ce que le roi est désigné à la troisième personne. Elle se parle à elle-même et se rend compte de la situation.
Le roi m'a fait venir dans ses appartements.
C'est comme si elle sortait d'un rêve et entrevoyait la position critique où elle se trouve placée.
Les paroles des jeunes filles ne l'ont que trop bien éclairée à cet égard.
Celles-ci, sans prendre garde à cet aparté de Sulamith, continuent à célébrer les amours du maître qu'elles servent, comme si elles avaient mission de la disposer à répondre aux avances du monarque.
En se voyant l'objet de leur attention, et en comparant son teint bruni avec le frais visage des jeunes citadines, la villageoise se trouble et s'écrie :
Je suis noire, mais de bonne grâce, filles de Jérusalem, comme les tentes de Kédar, comme les draperies de Salomon.
Ne fixez pas vos regards sur moi, parce que je suis noire et que le soleil m'a brûlée. Les fils de ma mère se sont irrités contre moi et m'ont faite la gardienne de vignes ; et ma vigne à moi je ne l'ai pas gardée.
L'expression les fils de ma mère a quelque chose d'étrange. Elle suppose dans tous les cas qu'elle a été assez rudement menée sous le toit maternel.
Ce trait peut être rapproché de 7 : 1, où, par contraste, elle est appelée fille de prince. Ses frères l'ont mise au rude travail de gardienne de vignes.
C'est pour elle une espèce de dégradation sociale. Mais ce premier malheur est accompagné d'un autre.
Elle possède, comme héritage paternel, un vignoble : il en sera parlé de nouveau plus tard, dans l'une des énigmes qui terminent le poème ( 8 : 11 et 12).
Ce bien patrimonial, elle n'en a pas pris tout le soin qu'elle aurait dû.
Mais, encore que sont ces malheurs en comparaison de celui dont elle se voit maintenant frappée !
Elle est séparée de son bien-aimé. Son coeur le cherche dans ces appartements magnifiques ; mais il est ailleurs ; il fait, à cette heure de midi, reposer son troupeau dans quelque endroit ombragé, sur la montagne.
Elle le voit en pensée sous les cyprès et les cèdres qui bordent les pâturages, et dans la naïveté de son amour et la vivacité de ses impressions, elle lui parle comme s'il pouvait l'entendre et lui dit :
Fais-moi savoir, toi qu'aime mon âme, où tu pais, où tu fais reposer le troupeau à l'heure de midi. Car pourquoi errerais-je comme une femme voilée auprès des troupeaux de tes compagnons ?
Elle craindrait, si elle allait le chercher sur la montagne, et qu'elle dût s'informer à d'autres de l'endroit où il repose, d'être prise pour une femme sans honneur.
Les jeunes filles s'amusent de cette explosion de tendresse, de ce doux rêve, au moyen duquel Sulamith échappe à l'affreuse réalité.
Et comme pour entretenir en elle ce jeu d'imagination, elles l'invitent, si elle est assez simple pour préférer la condition de bergère à celle de bien-aimée du brillant monarque à conduire en effet son petit troupeau de chèvres jusqu'aux alpages de la montagne :
Si tu es simple à ce point, ô belle d'entre les femmes, sors sur les traces des brebis et va paître tes chevreaux auprès des cabanes des bergers.
Ici s'ouvre une nouvelle scène. Salomon entre dans l'appartement. Il s'adresse lui-même à la jeune fille et paie à sa beauté son tribut d'admiration ; mais son langage emphatique est celui d'un grand de la terre qui croit facile d'éblouir une pauvre villageoise par quelques grosses flatteries :
A ma cavale dans l'attelage de Pharaon, je te compare, mon amie. Tes joues sont gracieuses avec les atours et ton cou avec les colliers.
Aux louanges il croit devoir ajouter aussi des promesses, mais il ne se met pas en grands frais pour cela :
Nous te ferons des colliers d'or pointillés d'argent.
En entendant ce langage qui la révolte, Sulamith se recueille, et, se parlant à elle-même, déclare qu'au moment même où le roi lui parle ainsi du divan où il est assis, elle ne respire qu'une chose, l'amour de son bien-aimé :
Dans le temps que le roi est en son divan, mon nard me fait sentir son odeur. Mon bien-aimé m'est un bouquet de myrrhe attaché sur mon sein. Mon bien-aimé est une grappe de troène dans les vignes d'Hen-Gueddi.
Salomon répond :
Te voilà belle, mon amie, te voilà belle ; tes yeux sont des yeux de colombe.
Sulamith, s'animant de plus en plus, adresse à celui qu'elle aime l'écho des louanges que lui prodigue Salomon :
Te voilà beau, mon bien-aimé, et agréable.
Elle se croit transportée auprès de lui :
Notre couche est un lit de verdure. Les poutres de notre palais sont des cèdres, et nos lambris les cyprès. Pour moi, je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées.
C'est dire assez clairement qu'elle préfère le tapis de verdure et les ombrages de la forêt aux lambris dorés dans lesquels elle se voit captive. Elle est une fleur des champs déplacée dans ce palais magnifique.
Salomon ne se décourage pas :
Comme un lis ente les épines, telle est mon amie entre les jeunes filles.
Sulamith, s'exaltant, lui répond avec une vivacité croissante :
Comme un pommier parmi les arbres de la forêt, tel est mon ami parmi les jeunes hommes. Je me suis complu sous son ombre ; je me suis assise, et son fruit est doux à mon palais.
La vision de son bien-aimé acquiert alors toute son intensité. S'isolant totalement de la situation extérieure, elle oublie sa captivité.
Elle se voit avec lui dans les lieux où les jeunes hommes et les jeunes filles ont coutume de se réjouir. Son coeur se pâme dans ce bonheur imaginaire.
L'effort puissant qu'elle vient de faire pour réagir contre la séduction à laquelle elle est en ce moment exposée, l'ardeur de son amour qu'a exalté cette lutte avec la passion grossière dont elle est l'objet, ont comme épuisé sa force.
Elle se sent défaillir dans les bras de ce bien-aimé qu'elle contemple en esprit ; et, en fermant les yeux, elle supplie les jeunes filles qui l'entourent, au nom de ce que la vie champêtre a de plus gracieux et de plus tendre, de respecter la béatitude dans laquelle la plonge son amour, et de ne pas la rappeler à la triste réalité avant qu'elle sorte d'elle-même de cette douce extase :
Il m'a conduite dans la maison du vin, et sa bannière sur moi est amour. Soutenez-moi avec du raisin, fortifiez-moi par des pommes, car je me meurs d'amour.
Sa main gauche soutient ma tête, sa droite me tient embrassée. Je vous adjure, filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs, ne réveillez, ne réveillez pas l'amour, jusqu'à ce qu'il le veuille.
Voilà donc Sulamith endormie et plongée dans ses doux rêves. C'est ici proprement que devrait finir le premier acte.
Mais l'auteur nous initie aux visions de Sulamith ; et les deux scènes qui vont suivre et qui terminent ce premier acte, sont deux extases de la jeune fille, étroitement liées.
La première (troisième scène du poème) comprend chapitre 2, verset 8 à 12. C'est une scène matinale. Sulamith est dans la maison de sa mère.
Elle croit entendre la voix de son bien-aimé qui l'appelle, et l'apercevoir à travers le treillis de sa fenêtre :
Voix de mon bien-aimé ! Voici, il vient, sautant sur les montagnes, bondissant sur les collines. Mon bien-aimé est semblable au chevreuil ou au faon des biches.
Le voilà qui se tient derrière notre mur, regardant par les fenêtres : son oeil brille à travers le treillis.
Il l'invite à une promenade dans la campagne, qui commence à se revêtir de sa parure printanière :
Mon bien-aimé a répondu et m'a dit : Lève-toi, mon amie, ma belle et t'en viens. Car voici, l'hiver a fini, la pluie a passé, s'en est allée. Les fleurs ont paru dans le pays ; le temps des chansons approche ; la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre contrée.
Le figuier a fait mûrir ses fruits, et les vignes sont en fleurs ; elles ont donné du parfum.
Mais Sulamith ne se rend pas à cette invitation ; elle ne paraît point. Le bien-aimé la compare à une colombe qui se cache dans le creux d'un rocher.
Si elle ne peut le suivre, il voudrait au moins voir sa figure, entendre sa voix ; il lui demande un chant :
Lève-toi, mon amie, et t'en viens ! Ma colombe, dans le creux du rocher, dans la cachette des précipices, fais-moi voir ta figure, fais-moi entendre ta voix. Car ta voix est douce et ta figure aimable.
Elle lui répond par un chant dans lequel elle lui rappelle l'ordre de ses frères qui l'oblige, ainsi que sa plus jeune soeur, à protéger les jeunes pousses des ceps de vigne contre les déprédations causées par les petits renards.
Ainsi retentissent dans les extases de Sulamith toutes les émotions agréables ou douloureuses de l'état de veille :
Prenez-nous les renards, les petits renards qui ravagent les vignes, car notre vigne est en fleur.
Elle est donc forcée de différer jusqu'au soir la promenade à laquelle il l'invite. Mais son coeur n'en reste pas moins uni à son ami ; et quand le soir viendra et qu'elle aura achevé de vaquer en son rude labeur, elle espère qu'elle le verra accourir d'un pas empressé pour jouir auprès d'elle de la dernière heure du jour :
Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui, mon bien-aimé qui fait paître son troupeau parmi les lis. A l'heure où soufflera le vent du jour et où s'inclineront les ombres, reviens : fais-toi semblable, mon bien-aimé, au chevreuil ou au faon des biches, sur les montagnes de séparation.
Aucune poésie surpassa-t-elle jamais l'éblouissante fraîcheur de ces tableaux ?
La seconde extase de Sulamith, qui forme la quatrième et dernière scène du premier acte, est décrite chapitre 3, verset 1 à 5.
Le soir est arrivé ; le bien-aimé n'a pas reparu. La nuit règne autour de Sulamith et dans son coeur.
Il faut se rappeler que la scène suivante est toute d'imagination. Ce qui serait choquant si Sulamith parlait et agissait ainsi dans l'état de raison, paraîtra simple si l'on se rappelle qu'il ne s'agit que d'une extase.
Il importe de remarquer à ce point de vue le pluriel : les nuits (3 : 1), que beaucoup de nos traducteurs changent à tort en un singulier. Ce pluriel s'oppose opiniâtrement à toute interprétation grossièrement réaliste.
Enfin le tableau suivant exige, pour être compris, que l'on se rappelle la coutume des bergers orientaux, qui, dès qu'ils redoutent quelque danger nocturne, ramènent le soir leurs troupeaux dans l'enceinte des villes et passent avec eux la nuit sur la place publique.
On comprendra par là comment Sulamith peut aller à la recherche de son berger dans les rues solitaires au milieu de la nuit :
Sur ma couche, durant les nuits, j'ai cherché celui qu'aime mon âme ; je l'ai cherché et ne l'ai point trouvé. Je me lèverai et je ferai le tour de la ville par les rues et par les places, je chercherai celui qu'aime mon âme.
Pauvre Sulamith ! L'ordre légal s'accommode difficilement des naïfs élans d'un coeur aimant.
Elle tombe entre les mains du guet ; mais cette fois elle en est quitte pour la peur ; et, trouvant bientôt celui qu'elle cherche, elle le conduit dans la maison, dans la chambre de sa mère ; détail d'une délicatesse exquise, qui fait admirablement contraster cette scène avec le tableau par lequel s'était ouvert le drame, celui de ces jeunes Israélites abandonnées seules dans le harem du palais.
Je l'ai cherché et ne l'ai pas trouvé. Les guets m'ont trouvée, ceux qui font la ronde de la ville : Avez-vous vu celui qu'aime mon âme ?
A peine je les avais dépassés que j'ai trouvé celui qu'aime mon âme. Je l'ai saisi et ne l'ai point lâché jusqu'à ce que je l'aie fait venir dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m'a donné le jour.
Alors Sulamith se sent de nouveau plongée dans l'ineffable béatitude que lui procure la présence de son bien-aimé.
Et du sein de ce bonheur sur lequel reposent l'oeil et la bénédiction de sa mère, elle répète la prière qu'elle avait adressée aux jeunes filles qui l'entouraient, lorsqu'elle s'était sentie envahie par l'extase, et les adjure de nouveau de respecter le repos sacré de l'amour et de ne point l'arracher violemment à ce doux rêve :
Je vous adjure filles de Jérusalem, par les gazelles ou par les biches des champs, ne réveillez, ne réveillez pas l'amour, jusqu'à ce qu'il le veuille.
Rien de plus net, à ce qu'il semble que la marche de ce premier acte ainsi compris.
Le second chant du poème, ou le second acte du drame, s'étend de 3 : 6 à 8 : 4. C'est la répétition de l'épreuve à laquelle a été exposée la fidélité de Sulamith, mais à une plus haute puissance.
Les scènes correspondent assez exactement à celles du premier acte. La première représente Sulamith amenée comme en triomphe sur le trône portatif que s'est fait faire Salomon.
Elle arrive aux portes du palais. Le dialogue s'engage alors entre elle et le roi. Salomon donne cours à son admiration, à sa passion. Il espère qu'aujourd'hui même Sulamith sera à lui.
Elle sera son unique, au milieu de toutes les autres reines et de toutes les beautés qui peuplent son harem.
Sulamith répond à ces offres pompeuses, comme elle l'a fait, dans le premier acte, à des promesses moins magnifiques.
Mais dans cette lutte violente entre la passion du monarque et son amour pour celui que rien ne peut lui faire oublier, amour que le contact d'un feu étranger ne fait qu'enflammer davantage, elle tombe de nouveau dans la défaillance qui est pour elle l'entrée de l'extase ; et c'est dans cette situation de Sulamith que se continue et se termine cet acte.
On le voit : le second acte est un double du premier, avec des proportions agrandies. Entrons dans le détail.
La première scène, celle de l'arrivée de Sulamith portée sur le trône de Salomon, est décrite 3 :6 à 11.
Les habitants de Jérusalem expriment leur surprise et leur admiration à la vue du cortège qui s'approche :
Qui est celle qui monte du désert ? Ce sont comme des palmiers de fumée. C'est une odeur de myrrhe et d'encens et de toute espèce de poudres de parfumeur.
Voici le palanquin de Salomon : soixante hommes forts l'entourent d'entre les hommes forts d'Israël, tous portant l'épée et exercés au combat. Chacun à son épée sur sa hanche à cause des frayeurs de la nuit.
Le roi Salomon s'est fait faire un lit de bois du Liban. Il en a fait les colonnes d'argent, les balustres d'or, le siège de pourpre ; le milieu a été brodé d'amour par les filles de Jérusalem.
Sortez et contemplez, filles de Sion, le roi Salomon avec la couronne dont l'a couronné sa mère au jour de ses noces, au jour de la joie de son coeur.
Les premiers mots pourraient parfaitement se traduire par le neutre : Qu'est-ce que cela ? au lieu de : Qui est celle-ci ? et se rapporter, non à la personne de Sulamith, assise dans le palanquin, mais au trône portatif, tout entouré de nuages de l'encens que l'on fait fumer à l'entour.
La présence de Sulamith serait indiquée uniquement par l'allocution de Salomon, 4 : 1, au moment où arrive le cortège. Néanmoins nous avons traduit par le féminin à cause du parallélisme de cette parole avec la question analogue 8 : 5 :
Qui est celle-ci qui monte du désert ?où il ne peut y avoir aucune équivoque sur le sens du pronom hébreu.
Plusieurs interprètes rapportent la description du lit de Salomon, versets 9 et 10, non au trône portatif dont il est parlé verset 7, mais au lit nuptial qu'il a fait faire en vue de ce jour, de son mariage avec une nouvelle reine.
Dans ce sens cette parole préparerait bien l'invitation que s'adressent l'une à l'autre les jeunes filles de Jérusalem, d'accourir pour contempler la pompe du jeune roi couronné par sa mère pour le jour de ses épousailles.
Il ne faut nullement traduire les mots que nous avons rendus ainsi : Le milieu est brodé d'amour, comme le fait M. Renan : Au centre brille une belle, choisie d'entre les filles de Jérusalem.
Il faudrait forcer le sens de l'expression hébraïque pour en tirer cette pensée, qui d'ailleurs est écartée par ce seul fait que Sulamith n'est point une fille de Jérusalem.
Que s'est-il passé entre cet acte et le précédent ? Salomon, rencontrant une résistance aussi prononcée chez la jeune fille, l'avait-il envoyée chez sa mère ?
Est-ce là qu'il l'a fait chercher une seconde fois par ce pompeux cortège, espérant que la magnificence royale, au milieu de laquelle elle est ramenée, éblouira son coeur et préparera la victoire qu'il compte bien obtenir encore ?
Cette supposition nous paraît plus naturelle que celle qui ferait rester Sulamith dans le palais à la suite de l'extase précédente ; comment expliquer, dans ce cas, le cortège qui l'amène ?
Acte 4 : 1, commence la seconde scène, le dialogue entre Salomon et Sulamith :
Te voilà belle mon amie, te voilà belle.
C'est la répétition de 1 : 14. Puis le roi décrit avec enthousiasme sa beauté jusqu'au verset 5. Sulamith l'interrompt, comme elle l'avait fait 1 : 12 et 15.
Elle espère, que quand le soir viendra, elle sera libre de gravir la montagne de myrrhe et les collines parfumées où son ami paît le troupeau.
Salomon reprend avec des expressions de plus en plus passionnées. Fait-il allusion, dans les paroles suivantes, à Sulamith assise sur son trône, dans le palais, d'où elle lui jette des regards pleins de fierté, ou bien imite-t-il le langage du berger qui 2 : 14, avait comparé Sulamith à une colombe qui se tient dans les fentes des rochers ?
Avec moi tu viendras du Liban, mon épouse, avec moi, du Liban, du sommet d'Amana, du sommet de Sénir et du Hermon, des antres des lions, des montagnes des léopards. Note 4
Regarde-moi ; tu m'as pris le coeur, ma soeur, mon épouse, tu m'as pris le coeur par l'un de tes yeux, par l'une des boucles qui flottent sur ton cou.
Sa passion s'enflamme de plus en plus. Elle s'échappe de ses lèvres comme un torrent de feu. Le coeur de Sulamith s'abandonne au même mouvement, mais pour un autre que le monarque qui est devant elle.
Et quand Salomon, au paroxysme de son amour, s'est écrié :
O fontaine des jardins, ô puits d'eau vive, ruisseaux coulant du Liban !
Elle lui répond tout à coup, sous l'empire de sa passion à elle :
Aquilon, réveille-toi ; vent du midi, souffle sur mon jardin, et que mes parfums se répandent ! Que mon bien-aimé entre dans son jardin, et qu'il mange de ses doux fruits !
Salomon dans son trouble, s'enhardit et ose s'appliquer à lui-même ce cri d'amour.
Oui, répond-il, je suis venu dans mon jardin, ma soeur, mon épouse ; j'ai cueilli ma myrrhe et mon baume.
Et, comme s'il était déjà maintenant sûr de la victoire, il invite les jeunes gens qui l'entourent à s'associer à sa joie :
Mes amis, mangez, buvez, faites bonne chère, mes bien-aimés !
Mais, ô surprise ! celle à qui s'adresse ce transport n'est plus là devant lui que comme un corps en quelque sorte inanimé. Pendant qu'il parlait, sa captive lui a échappé.
Elle est tombée dans une extase semblable à celle qui avait terminé la première lutte. Elle-même l'annonce dans ces paroles, chapitre 5, verset 2 :
Je dors, mais mon coeur veille.
Ici commence une scène analogue aux visions décrites dans les deux scènes correspondantes du premier acte, mais plus extraordinaire encore.
Et d'abord, du verset 2 au 7, une vision qui réunit plusieurs traits des deux précédentes. Elle s'annonce de la même manière :
Voix de mon bien-aimé.
Il vient la chercher, comme il l'avait fait dans la première vision, mais cette fois c'est durant la nuit :
Voix de mon bien-aimé qui heurte à ma porte ! Ma soeur, mon amie, ma colombe, ma parfaite; car ma tête est couverte de rosée, et les boucles de mes cheveux sont trempées des gouttes de la nuit.
Sulamith répond avec une exquise pureté :
J'ai dépouillé ma robe, comment la remettrais-je ? J'ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ?
Elle raconte ensuite comment elle a vu la main de son bien-aimé s'avancer à travers le guichet et s'approcher du verrou.
Alors elle s'est levée pour lui ouvrir, et en touchant la poignée du verrou, elle a senti qu'elle dégouttait de myrrhe, de la myrrhe émanée de la main de son bien-aimé.
Puis elle a ouvert; mais il était parti, disparu. Elle continue :
Mon âme est sortie à l'ouïe de ses paroles. Je l'ai cherché, je ne l'ai pas trouvé ; je l'ai appelé, il ne m'a pas répondu.Les gardes qui font la ronde dans la ville m'ont trouvée ; ils m'ont frappée, m'ont blessée ; ils m'ont enlevé mon voile de dessus moi, les gardiens des murs.
Ici encore on remarque une gradation, sur l'extase analogue de l'acte précédent, où les guets l'avaient laissée passer sans l'inquiéter.
Et dans cette situation elle s'adresse aux filles de Jérusalem, non pas pour les adjurer de la laisser dans son bonheur, car elle ne jouit point encore le la présence de son bien-aimé, mais pour les supplier, si elles viennent à le rencontrer, de lui dire combien elle soupire après lui :
Je vous adjure, filles de Jérusalem ; si vous trouvez mon bien-aimé, que lui annoncerez-vous ? Que je suis malade d'amour.
Comme, dans la première scène, les jeunes filles s'étaient fait un jeu d'entrer dans les pensées de Sulamith et de stimuler, en quelque sorte, le travail de son âme, le choeur prend ici la parole, et lui répond dans le même sentiment :
Qu'est-ce que ton bien-aimé plus qu'un autre bien-aimé, ô la plus belle des femmes, que tu nous adjures ainsi ?
Alors la bouche de Sulamith s'ouvre et déborde. Elle fait un éloge enthousiaste de la beauté de celui qu'elle aime, et termine en disant 5 :16 :
Voilà quel est mon bien-aimé, voilà quel est mon ami, filles de Jérusalem.
Les jeunes filles continuent ce singulier entretien, comme on répond à un enfant qui parle en dormant; elles s'amusent à prendre part à cette scène, qui se joue dans l'âme de Sulamith. Elles lui demandent :
Où est allé ton bien-aimé, ô la plus belle d'entre les femmes ? où s'est dirigé ton bien-aimé, et nous le chercherons avec toi.
Si nous étions dans la prose de la vie, Sulamith devrait répondre qu'elle n'en sait rien, car le bien-aimé s'est échappé soudain sans qu'elle ait pu le suivre du regard.
Mais nous sommes dans le monde de l'extase, où l'imagination remplit bien vite toutes les lacunes :
Mon bien-aimé est descendu en son jardin, au parterre des parfums, pour y faire paître et pour cueillir des lis.
Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi.
Il fait paître parmi les lis.
Supposez que l'apparition précédente ne fût pas une simple vision, cette réponse n'aurait pas de sens. Les bergers ne font pas paître leurs troupeaux au milieu de la nuit.
Ici (6 : 4) s'ouvre la troisième scène, qui se prolonge jusqu'à 8 : 4, et dans laquelle, si on la compare à la scène correspondante du premier acte (la quatrième), on remarque une gradation non moins marquée relativement à celle-ci.
Salomon reparaît. Il va tenter un suprême effort. Il renouvelle un peu emphatiquement ses éloges; il compare Sulamith aux deux plus belles villes de son royaume, Thirza et Jérusalem.
Puis, faisant allusion à la fière attitude de sa captive, qui contraste avec la tendresse de ses allocutions à son ami absent, il s'écrie :
Tu es terrible, comme une armée rangée en bataille. Détourne tes yeux de moi, car ils me troublent...
Il y a là soixante reines..., des jeunes filles sans nombre. Unique est ma colombe, ma parfaite. Elle est unique à sa mère, à celle qui l'a enfantée.
Les filles l'ont vue et l'ont dite heureuse ; les reines l'ont vue et l'ont louée. Quelle est celle ci dont le regard est comme celui de l'aurore, belle comme la lune, pure comme le soleil, terrible comme les bataillons ?
Nous avons déjà vu comment, durant les extases de Sulamith, revenaient à sa mémoire les impressions de son état de veille et les circonstances extérieures qui les avaient produites.
Elle semble en ce moment recueillir un souvenir et chercher à se rendre compte du fait qui a occasionné sa situation actuelle.
Elle s'en était allée en son jardin, situé dans un vallon retiré, pour admirer le progrès de la végétation printanière.
Et voici que, sans y prendre garde, elle s'est trouvée au milieu des chariots d'un royal cortège :
J'étais descendu au jardin des noyers pour voir les grandes herbes du ruisseau, pour voir si la vigne a montré ses bourgeons, si les grenadiers ont fleuri.
Et voilà que, sans m'en apercevoir, mon âme m'a poussée au milieu des chariots d'une suite de prince.
Cette imprudence de Sulamith avait-elle précédé sa première captivité, ou avait-elle été l'occasion du retour triomphal, mais forcé, qui ouvre le second acte ?
Il est difficile de se décider entre ces deux alternatives; mais le sens général de ces mots est évident: elle se reproche de s'être laissé entraîner par la curiosité trop près du cortège du jeune monarque qui faisait avec toute sa cour une partie de campagne dans le voisinage du lieu où elle habitait; et elle reconnaît qu'elle s'est attirée par là ce qui lui arrive aujourd'hui.
Le souvenir de ce moment devient si vivant chez elle, qu'elle essaie de fuir en cet instant même, comme elle aurait dû le faire en réalité lorsque l'événement s'est passé.
Toujours dans son état d'extase, elle se lève et cherche à s'enfuir. C'est là, ce nous semble, la seule manière d'expliquer cette invitation pressante et quatre fois répétée que lui adresse l'assemblée qui l'entoure :
Reviens, reviens, ô la Sulamith, reviens, reviens, que nous te regardions, que nous te contemplions !
Sulamith réplique avec une modestie naïve :
Comme une danse de Machanaïm.
C'est ici l'un des passages qui ont le plus embarrassé les interprètes.
Machanaïm signifie deux camps. C'est le nom que donna le patriarche Jacob à l'endroit où, lors de son retour en Canaan, Dieu lui souhaita en quelque sorte la bienvenue par l'apparition de deux troupes d'anges (Genèse 32 : 1 et 2).
M. Renan suppose ici l'introduction sur la scène d'une danseuse vulgaire, d'une de ces bayadères employées dans les cultes idolâtres de l'Orient, qui essaierait de détourner les regards de l'assemblée de Sulamith sur elle-même.
C'est elle qui dirait : Comment regarder la Sulamith devant une danse de Machanaïm ? faisant allusion à la danse qu'elle va exécuter elle-même. M. Renan suppose que Machanaïm aurait été une ville célèbre par ce genre de divertissements.
Ce serait ici une sorte de ballet que l'on aurait introduit comme intermède dans l'opéra dont le Cantique était le libretto. Mais cet épisode ne serait dans le poème qu'un hors-d'oeuvre.
Il détournerait sans but l'attention des lecteurs de l'héroïne qui est le centre de l'action. Et quel sens donner à cet impératif quatre fois répété et bien évidemment adressé à Sulamith: Reviens !
Puis il n'est guère possible de traduire : devant une danse; le texte dit : comme une danse.
Enfin la plus grande difficulté pour M. Renan est de revenir à Sulamith ainsi abandonnée. C'est à la bayadère que s'appliquerait la description enthousiaste qui suit, 7 : 1 à 9. Et Sulamith, pour ramener l'attention sur elle-même, reprendrait la parole, verset 10 ! Assez et trop d'invraisemblances !
M. Réville, d'après M. E. Meier, propose une explication qui est encore moins soutenable. Ces deux auteurs traduisent 6 : 12 comme suit :
Je ne sais comment mon coeur m'a conduit loin des chevaux (Meier : des troupes) de mon peuple brave ; c'est-à-dire, selon ces deux auteurs loin de mes vaillants compatriotes, des braves jeunes gens de Sunem (ou Sulem) qui auraient bien su la défendre contre les gens de Salomon, si elle ne se fût pas autant éloignée de sa demeure.
Ce serait le soupir de ces jeunes villageois après leur belle compatriote disparue de leurs danses qui se ferait entendre dans le quadruple : Reviens ! adressé à Sulamith.
M. Réville avoue bien lui-même que cette soudaine entrée en scène des gens de Sulem est un fait contraire à toute vraisemblance. Mais, pour excuser l'auteur, il suppose qu'il a voulu faire ici une scène d'écho (les quatre reviens) !
Ce qu'il y a de plus fort, c'est en tout cas de traduire : loin des chevaux ou chariots. M. Réville semble vouloir, par cette traduction forcée, compenser le travestissement de fuis en reviens, dans le dernier verset du poème.
A notre point de vue, l'interprétation n'offre plus aucune difficulté. Dans son extase, qui ressemble au somnambulisme, Sulamith, qui s'était mise à fuir, se meut légèrement devant l'assemblée.
Elle fait à tous les assistants dans cet état mystérieux l'effet d'un être flottant entre ciel et terre, d'une apparition surhumaine; et c'est à quoi se rapporte cette expression étrange : comme une danse de Machanaïm, c'est-à-dire d'une troupe d'anges.
Le choeur se met alors à faire l'éloge de sa grâce et de sa beauté (7 : 1 à 5). On a souvent mis cette description enthousiaste dans la bouche du roi ; mais le contraire ressort de cette expression du verset 5 :
Les cheveux de ta tête sont comme des fils de pourpre; un roi est enchaîné à leurs boucles.
Ce qui démontre sans réplique que c'est le spectacle de la marche cadencée ou, si l'on veut, de la danse de Sulamith qui charme les spectateurs, c'est que la description commence par la démarche et la chaussure de Sulamith, pour s'élever par degrés jusqu'à sa chevelure :
Qu'ils sont beaux tes pas dans les chaussures, fille de prince...
Ce titre : fille de prince, ne se rapporte-t-il qu'à la noblesse et à la dignité qui respire dans toute la personne de la jeune fille, ou ne renferme-t-il pas une allusion à sa haute extraction ?
Exalté jusqu'au délire par ce spectacle, le jeune monarque donne sans ménagement essor à sa passion (versets 6 à 8):
Que tu es belle, que tu es charmante, mon amour ! Ta taille est semblable à un palmier. J'ai dit: Je monterai à mon palmier et je saisirai ses branches...
Ton palais est comme le vin excellent qui coule...
Tout à coup Sulamith l'interrompt, comme elle l'avait déjà fait dans le premier acte, et, s'appropriant sa phrase, l'achève en l'appliquant à celui qu'elle aime :
... droit à mon bien-aimé.
Et, se livrant à son tour à toute la vivacité de son sentiment, elle ouvre sa bouche pour dire des choses qu'éveillée elle n'eût jamais prononcées.
Son bien-aimé est là; elle est à lui. Elle l'invite à une course dans les campagnes; après cela elle le ramènera dans la maison de sa mère; et là elle lui servira les fruits nouveaux et vieux qu'elle a gardés pour lui.
Oh ! que n'est-il son frère ! Ainsi du moins elle pourrait vivre avec lui et lui témoigner son amour, sans que personne eût le droit de la blâmer, s'asseoir à ses pieds dans la maison de sa mère et se laisser instruire par lui de tout ce qu'elle ignore.
Et puis, elle à son tour lui offrirait le vin aromatisé, le jus de ses grenades...
Et, à cette pensée ravissante, elle se sent de nouveau défaillir; mais c'est comme dans les bras de celui qu'elle contemple près d'elle; et en perdant toute conscience d'elle-même, dans l'extase où elle se plonge plus profondément elle répète le refrain qui annonce à chaque fois le repos après la lutte :
Je vous adjure, filles de Jérusalem, ne réveillez, ne réveillez pas l'amour avant qu'il le veuille.
Ainsi la fidélité de Sulamith a triomphé, dans deux luttes terribles, des trois grandes puissances dont parle un apôtre : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie.
Elle a préféré l'amour pauvre, mais sincère, à la passion magnifique, mais sensuelle. L'amour de celui qui ne donne rien... que lui-même, lui a paru meilleur que l'amour de celui qui donne tout... sauf lui-même.
Le troisième acte est le triomphe qui suit la victoire.
Il comprend le dernier chapitre, depuis le verset 5, et se compose de quatre courtes scènes, dans lesquelles comparaissent, comme dans une sorte de revue, tous les personnages en relation avec Sulamith, chacun prononçant ou recevant le mot qui résume la vérité sur sa situation.
La première de ces petites scènes se rapporte naturellement à la relation de Sulamith et du bien-aimé. Le choeur voit apparaître dans le lointain deux personnages qui s'avancent; c'est un jeune homme avec une jeune fille qui s'appuie sur lui avec confiance et tendresse:
Qui est celle-ci qui monte du désert, s'appuyant sur mon bien-aimé ?
C'est le pendant de l'entrée en scène de Sulamith dans l'acte précédent (3 : 6), quand elle arrivait au palais dans le palanquin de Salomon entourée de sa garde.
Elle a maintenant recouvré sa liberté. Elle s'est hâtée de chercher son ami. Elle l'a trouvé dormant sous un pommier, auprès de la maison paternelle.
En arrivant avec lui sur la scène, elle lui adresse cette parole :
Sous le pommier je t'ai réveillé ; sous le pommier où t'a enfanté ta mère, où a souffert celle qui t'a donné le jour.
Et maintenant qu'elle l'a retrouvé, son voeu unique est de rester indissolublement unie à lui :
Mets-moi comme un cachet sur ton coeur, comme un cachet attaché à ton bras. Note 5
Car l'amour est fort comme la mort, la passion inflexible comme le sépulcre.
Ses ardeurs sont les ardeurs de feu, une flamme de Jéhovah. Beaucoup d'eaux ne pourront éteindre l'amour, et des fleuves ne le submergeront pas.
Qu'un homme donne tous les biens de sa maison pour l'amour, on lui fera honte.
Comment M. Renan a-t-il pu se résoudre à mettre ces brûlantes paroles dans la bouche d'un sage, d'un pédant qui les débiterait sur la scène comme la morale de la fable ?
C'est Sulamith elle-même qui chante ici l'énergie du sentiment qui l'a rendue victorieuse, de l'amour vrai, flamme émanée de Jéhovah, dans laquelle n'entre aucun élément égoïste et dont l'indomptable véhémence n'est égalée que par le pouvoir de la mort et l'avidité du sépulcre.
Si le poème n'était qu'un chant d'amour, c'est ici, c'est par cet éclat suprême qu'il finirait. Aussi ne sommes-nous point surpris de voir plusieurs d'entre les interprètes qui lui ont donné ce sens, rejeter tout ce qui suit, comme postérieurement ajouté.
Mais cette hypothèse est arbitraire, et ne trouve aucun appui dans les documents. Nous continuons donc et nous arrivons à la seconde scène: Sulamith et sa jeune soeur.
Chez sa mère, Sulamith se trouve en face de ses frères qui l'avaient si sévèrement éduquée ; et là elle s'entretient avec eux d'une plus jeune soeur que son âge met encore pour un temps à l'abri d'une épreuve semblable à celle à laquelle elle vient d'être exposée.
Mais pour elle aussi sonnera l'heure de la lutte. Nous avons déjà reproduit le dialogue où est rapportée la décision prise dans ce conseil de famille (7 : 8 à 10). En voici le sens :
Si la jeune fille se montre ferme, elle sera couronnée; mais si elle faiblit, la honte et la servitude l'attendent.
Pour développer l'énergie morale chez sa jeune soeur, Sulamith lui cite son propre exemple : citadelle imprenable, n'a-t-elle pas fini par forcer l'assiégeant à faire la paix avec elle ?
Quel est cet assiégeant ? Quand tout le poème ne l'expliquerait pas, la suite le dirait assez. Nous arrivons ici à la troisième scène du dénouement. Sulamith règle ses comptes avec Salomon lui-même. Elle s'adresse à lui, comme s'il était présent (8 : 11 à 12) :
Le roi possède (hajah, proprement : il lui est advenu) un grand vignoble dans une localité qui porte le nom de Baal-Hamon. Ce lieu dont le nom signifie maître d'une multitude..., il serait sans doute aussi inutile de le chercher sur la carte, que d'y chercher la montagne du haut de laquelle le diable fit voir à Jésus tous les royaumes de ce monde.
Ce domaine est confié à des fermiers ; il rapporte au roi de beaux revenus. Car chacun des tenanciers s'est engagé à lui payer mille sicles.
Eh bien ! Sulamith a aussi un vignoble qui est à elle. Elle n'a pas su, il est vrai, en garder la propriété (1 : 6). Elle l'a aliéné par sa faute; elle l'a cédé à Salomon, elle a eu tort ; néanmoins elle ne rétracte point le don qu'elle a fait.
Que le roi retire donc aussi ses mille de la vigne de Sulamith, mais que deux cents sicles du moins restent pour les gardiens de ce domaine.
C'est une sorte de testament. Sulamith teste en faveur de Salomon, mais en instituant sur le revenu de son patrimoine une rente viagère en faveur de ceux qu'elle reconnaît fermiers de sa vigne à perpétuité.
Enfin, le berger qui vient de paraître pour la première fois sur la scène, ouvre la bouche et prononce l'unique parole qui lui soit attribuée dans tout le drame.
Il demande à Sulamith, en faveur de ses amis avec lesquels il est descendu des hauteurs parfumées où il a son domicile, un chant.
Il s'adresse à elle comme à l'habitante des jardins.
Il faut bien se garder de substituer, avec M. Renan, le singulier à ce pluriel, et de traduire : Belle, qui habitez ce jardin. Il ne s'agit pas d'un jardin en particulier, mais des jardins en général.
C'est le genre de vie de Sulamith que le berger veut caractériser, en opposition au sien propre. Les jardins sont le symbole de la vie sociale avec ses entraves ; les pâturages sont celui de la liberté pure ; voilà son séjour à lui :
Habitante des jardins, mes compagnons sont attentifs à ta voix ; fais que je l'entende.
Et c'est alors que Sulamith, acquiesçant au désir de son bien-aimé, lui chante ce mot mystérieux qui exclut toute possibilité de ne voir dans le Cantique qu'un poème érotique :
Fuis, mon bien-aimé, semblable au chevreuil ou au faon des biches, sur les montagnes parfumées.
Elle renonce donc pour un temps à l'accompagner sur ces hauteurs à le suivre elle-même. Une chaîne la tient liée à ce domaine inférieur où règne Salomon.
Mais lui qu'il prenne son essor ! Qu'il aille jouir de cette liberté pure qui fait son essence !
C'est en face de ce dernier verset que M. Réville a le courage, pour ne pas dire plus, de terminer son analyse du poème par ces mots : Le Cantique se termine donc (!) tout naturellement par la réunion paisible des deux amants.
Après quoi le critique posant sa plume satisfaite, semble regarder son lecteur pour lui demander : N'ai-je pas bien dit ? Nous ne lui envions pas sa satisfaction.
Nous avons maintenant à rechercher le vrai sens de ce poème.
- Note 3
- Qu'on se rappelle la Messénienne où le poète fait apparaître et parler, sur la scène lyrique improvisée, comme trois personnages vivants, comme trois soeurs, les batailles d'Arcole, des Pyramides et de Waterloo.
Retour - Note 4
- Le trône de Salomon était entouré de lions d'or massif (1 Rois 10 : 19 et 20)
Retour - Note 5
- Les anciens suspendaient leurs cachets soit au cou, soit au poignet au moyen d'une chaîne.
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