Protection de l'environnement
3. Hans JONAS : un philosophe engagé en faveur de la protection de la nature
Type : Dossier
Thème : Questions de Société
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 2000
Publié sur Lueur le
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Connaissez-vous Hans Jonas ? Peut-être pas. Né en Allemagne en 1903 et mort il y a quelques années (en 1993), il fut l'un des principaux penseurs juifs de cette deuxième moitié du 20e siècle. Sa vie fut marquée, comme celle de beaucoup d'autres Juifs de cette époque, par la menace nazie et la Seconde Guerre mondiale. Jonas prit le chemin de l'exil en 1933 qui le conduisit d'abord en Angleterre, puis en Palestine, en 1935, où il enseigna la philosophie à l'université hébraïque. Son père décéda un an avant le début de la Seconde Guerre mondiale ; sa mère, quant à elle, fut déportée à Auschwitz où elle mourut, assassinée, en 1942. Vers la fin du conflit, il revint en Allemagne comme artilleur dans une brigade juive intégrée à l'armée britannique. Mais ne voulant plus résider dans ce pays, coupable à ses yeux de trop de crimes, il demeura successivement - au gré des nominations académiques - dans le jeune Etat hébreu, à Montréal, à Ottawa et à New York.
Une prise de conscience
Redevable au théologien Rudolph Bultmann et surtout au philosophe Martin Heidegger, Jonas consacra ses premiers travaux à l'étude du phénomène gnostique. Mais le séisme provoqué par la Seconde Guerre mondiale (tout particulièrement le terrible génocide juif et les premiers usages de l'arme nucléaire), puis les spectaculaires développements des sciences et des techniques modernes l'amenèrent à orienter sa réflexion dans d'autres directions : est-il possible de croire en Dieu après Auschwitz ?1 L'homme et la civilisation moderne ne menacent-ils pas l'équilibre global de la nature ?
Jonas prit conscience, avant beaucoup d'autres, des graves dangers que la technique, l'industrie moderne, et le mode de vie occidentale qui en découlait, allaient faire peser de plus en plus sur l'écosystème planétaire. Cette prise de conscience l'amena à développer une réflexion profonde sur la problématique des rapports de l'homme moderne à la nature et sur la responsabilité de celui-là vis-à-vis de celle-ci. L'essentiel de sa pensée sur ce sujet est exprimé dans son ouvrage de référence, publié en 1979 : Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique.2 De manière plus succincte et plus abordable, cette même pensée philosophique et écologique est exposée dans un petit livre (un recueil d'entretiens) récemment paru en traduction française et intitulé : Une éthique pour la nature3.
Jonas a contribué à la prise de conscience générale qui s'est développée ces dernières décennies, en Europe et à l'échelle mondiale, concernant les menaces que la civilisation moderne occidentale faisait peser sur la nature. Son influence a été notable en Allemagne.
Un appel à la responsabilité
Quelle est donc la teneur de la réflexion éthique et écologique de Jonas ? Notre philosophe n'a cessé de souligner la gravité de la situation jusqu'à accepter d'endosser le rôle de prophète de malheur : " Nous sommes, disait-il en 1988, dans une sorte d'état d'urgence, une situation clinique, au chevet d'un malade. Et nous sommes ici simultanément les patients et les médecins " (p. 120). Notre civilisation technique, dans laquelle sont à l'oeuvre des mécanismes qui tendent à échapper à notre maîtrise, a chargé " l'environnement de substances dont son métabolisme ne peut venir à bout. A la dévastation d'ordre mécanique vient s'ajouter l'intoxication chimique et radioactive " (p. 145). Force est de constater le bouleversement radical qu'a connu la relation entre les hommes et la nature depuis l'avènement de la science moderne au 17e siècle. Les développements des sciences et de la technique " nous ont fait passer de l'état de sujets dominés par la nature à celui de maîtres de la nature " (p. 26).
Ce nouvel état des choses doit obliger, moralement, l'homme à faire preuve de responsabilité : responsabilité à l'égard de la nature, et responsabilité à l'égard des générations à venir envers lesquelles nous sommes redevables. Quelle terre laisserons-nous à nos enfants, petits-enfants, etc. ? " Nous n'avons pas le droit, proteste Jonas, d'hypothéquer l'existence des générations futures à cause de notre simple laisser-aller " (p. 89). Jonas souligne que cette responsabilité à l'égard du futur constitue un concept qui n'existait pas jusqu'à présent dans la philosophie occidentale. Il s'avère aujourd'hui incontournable.
Que devons-nous faire ?
D'abord, nous demander constamment " ce que la nature est encore capable de supporter, compte tenu de l'inventivité humaine " (p. 130) et de la puissance technologique qui est la sienne. Il s'agit donc de faire preuve de prudence, de " prendre l'habitude de marquer des pauses " (p. 131) en ce qui concerne les découvertes technologiques et leur utilisation. L'homme moderne doit donc apprendre à maîtriser la puissance technologique qui est entre ses mains. Plus encore, il doit mettre un frein à la course effrénée à la performance économique et technique qui conduit au pillage sans cesse croissant de la planète. Ce qui signifie concrètement que " notre appétit de consommation ne doit plus constamment croître " et que " nous devons adopter un mode de vie plus modéré ". Car si nous ne sommes pas prêts à un tel sacrifice, " il n'y a guère d'espoir " (p. 121), pronostique Jonas.
N'est-ce pas trop tard ?
Justement, y a-t-il encore un espoir de sauver notre planète bleue, n'est-ce pas trop tard ? Jonas se dit partagé entre une perspective tragique (la fin de la vie humaine suite à la détérioration de l'écosystème planétaire) et une perspective plus optimiste (la capacité de l'homme à réagir de manière adéquate). Mais quoi qu'il en soit, il est de notre responsabilité de ne pas céder au fatalisme, car " se résigner à la fatalité, c'est d'ores et déjà avoir perdu la bataille " (p. 122).
Jonas ose espérer que l'humanité va non seulement prendre encore plus conscience de la gravité de la situation, mais aussi accepter de restreindre sa liberté (de production, de consommation, de déplacement) en vue de sauvegarder notre planète. Les hommes, au niveau mondial, doivent parvenir à un consensus global, à l'adoption (et la mise en pratique effective !) de mesures adéquates4. Si Jonas ne désespère pas complètement de la raison humaine, il pense néanmoins qu' " il est beaucoup plus probable que la peur obtienne ce que la raison n'a pas obtenu " (p. 27) ; à savoir que les catastrophes écologiques qui surviendront (comme Tchernobyl, les inondations meurtrières ou les tempêtes dévastatrices) amèneront l'homme à changer de comportement en espérant qu'il ne sera pas trop tard. Sans doute, estime Jonas, l'homme moderne n'a-t-il pas encore assez reçu de coups de semonce sur la tête !
Une réflexion pertinente
Assurément, la réflexion éthique de Jonas (présentée ici de manière bien trop sommaire) est propre à nourrir notre propre réflexion et notre action. Même si ce philosophe juif pense le rapport au monde plus en terme de " nature " que de " création " (ce second terme convient mieux à la perspective biblique), sa réflexion s'avère, me semble-t-il, globalement en harmonie avec l'enseignement biblique, et non sans point commun avec certains précieux enseignements de la tradition chrétienne. Je pense tout particulièrement à l'insistance du protestantisme sur la notion de responsabilité (" l'éthique de la responsabilité), et à l'exhortation toute calviniste à pratiquer un " ascétisme modéré " (ni trop, ni trop peu), c'est-à-dire à un usage des biens terrestres marqué par la reconnaissance (car ils viennent de Dieu), et la maîtrise (car ils sont provisoires et ne doivent pas nous rendre esclaves).
A n'en pas douter, nous ne manquons pas d'aides précieuses pour, concernant notre rapport à la création, penser et agir de manière juste.
1. Cf. son petit livre Le concept de Dieu après Auschwitz, Paris, Rivages, 1994 [éd. originale : 1984].
2. La traduction française a paru au Cerf en 1994.
3. Hans JONAS, Une éthique pour la nature, coll. " Midrash ", Paris, Desclée de Brouwer, 2000, 162 p. [éd. originale : 1993]. Les citations ci-dessous proviennent de ce livre.
4. Ce qu'ont tenté de faire les conférences mondiales successives de Rio (1993), de Kyoto (1997) et, récemment, de La Haye (11/2000). Les résultats ne sont pas, à ce jour, très probants.
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