Protection de l'environnement
4. Nucléaire et environnement
Type : Dossier
Thème : Questions de Société
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 2000
Publié sur Lueur le
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" Nucléaire " : un mot chargé d'émotion qu'on hésite à utiliser. Et pourtant, qu'on le veuille ou non, nous vivons l'ère nucléaire. Longtemps l'écho du nucléaire a été " Hiroshima et Nagasaki ". En 1986, s'est ajouté " Tchernobyl ", et on ne peut plus justifier l'énergie atomique civile en la distinguant de son utilisation militaire. C'est vrai que le principe d'une bombe et d'un réacteur sont différents. Mais on ne peut plus dire que le nucléaire civil n'a jamais tué. Et les explications (exactes) données à nos populations pour les rassurer (à savoir que ce qui est arrivé au réacteur concerné ne peut pas se produire dans nos réacteurs occidentaux) n'empêchent pas de se demander si d'autres événements accidentels majeurs ne nous menacent pas. Les temps changent, les engagements écologistes ont de plus en plus d'échos y compris au niveau politique et la perplexité de l'opinion publique est très nette. Que penser, sur un sujet très technique, où les opinions des spécialistes nécessitent, pour s'exprimer sérieusement, des attendus ou des nuances difficiles à suivre pour tout un chacun, où les médias ont du mal à choisir entre la primauté du sensationnel et l'information objective (parfois bien difficile à cerner d'ailleurs), et où les autorités compétentes n'ont pas toujours facilité la compréhension des informations données au public ?
La place prépondérante du nucléaire
Voici quelques aperçus techniques (superficiels pour les spécialistes) qui se limiteront au nucléaire civil en France. D'abord 75% de notre énergie électrique vient du nucléaire. L'hydroélectricité est à son plafond. Les centrales thermiques (fuel ou charbon) ne sont pas l'idéal en termes de dégagement de gaz carbonique et donc d'effet de serre et de réchauffement du climat. Les perspectives de turbine à gaz que la législation européenne introduit via la concurrence suscitent les mêmes réserves. Il reste, bien sûr, les énergies renouvelables (géothermique, éolienne, solaire, etc.). Elles ne peuvent pas, actuellement, assurer, sur le plan quantitatif, une relève du nucléaire. Je crois nécessaire, pour ma part, de tout faire pour les développer, ainsi que les économies d'énergie, et aussi un système très prometteur pour les transports, les habitations et bien d'autres usages : la pile à combustible (dont le principe est l'inverse de l'électrolyse de l'eau et qui nécessite de l'hydrogène, avec le problème de sa production et de sa manipulation). Mais il semble évident qu'il n'y a pas, actuellement, d'alternative au nucléaire en France.
Problèmes et mesures de sécurité
Quid, alors, de l'" environnement ", autre mot chargé d'émotion ? Un système réglementaire, fait d'approches complémentaires (sécurité nucléaire, sûreté nucléaire, radioprotection) et donnant lieu à une organisation contrôlée des activités a précisément pour rôle d'assurer la protection des travailleurs, du public, et de cet environnement, et mon témoignage est qu'en France, ce système est extrêmement sérieux. La vigilance doit se maintenir mais notre système, aussi perfectible soit-il, est solide, notamment, peut-être, parce qu'il s'est construit avec la mise en oeuvre de l'énergie concernée. Un effort doit se poursuivre sur le plan de la communication, pour faire comprendre au public non spécialiste les enjeux de tel ou tel problème, et aussi l'approche " sûreté " qui est parfois déroutante dans son étude des conséquences envisagées d'accidents hypothétiques fondés sur des événements peu probables mais que l'on étudie quand même, pour en minimiser les conséquences potentielles, à titre de précaution. Et puis, il reste des sujets controversés (par exemple, l'effet des faibles doses de rayonnements), et aussi le problème technique des déchets radioactifs, pour lequel des solutions sont à l'étude, avec un planning imposé par la loi, mais avec une difficulté technique de réalisation renforcée par les réticences de l'opinion à accepter les laboratoires souterrains nécessaires au débouché des études.
Une " civilisation du risque "
Nous avons parlé de " précaution ". Le principe du même nom fait la " une " de l'actualité sur des sujets divers. Dans les années 80, Patrick Lagadec a introduit l'expression " civilisation du risque ", à propos de risques industriels (nucléaire, chimie, etc.). Depuis, se sont développées des " sciences du danger " ou cindyniques ; on s'est aussi engagé dans l'analyse des risques naturels (séismes, tornades, volcans, inondations, radioactivité naturelle, etc.) et la notion de responsabilité humaine (notamment pénale) dans la prévention de ces risques a fait du chemin. Un des thèmes développés par P. Lagadec était la nécessité de réagir de façon citoyenne en utilisant à fond les possibilités de notre démocratie, et en soutenant nos responsables politiques dans des décisions vitales en matière de prévention. Prévention ou précaution sont au coeur du débat, également, à propos du sang contaminé, des hormones de croissance, ou de la vache folle.
Protection, précaution et appât du gain
Est-on loin du nucléaire? Ce n'est pas sûr. Il est remarquable que dans tous ces domaines, on arrive in fine au même dilemme : l'homme ou l'argent ? Perdre tous ces lots de sang ? Renoncer à augmenter le rendement de vaches laitières forcées à être " vachophages " ? Renoncer à des " farines " faites de carcasses d'animaux et pas trop chauffées ? Quel coût ? Quels bénéfices ? Les questions sont les mêmes pour le nucléaire, elles ont été résolues par la réglementation (on peut toujours s'interroger sur les choix opérés, mais la démarche est là), et elles se posent pour tous les risques, qu'ils soient liés à l'activité humaine (et que dire du tabagisme, de l'alcoolisme, ou des accidents de voiture ? ) ou d'ordre naturel. On ne peut parler du nucléaire isolément.
Et les chrétiens ont un devoir particulier sur le plan de la sauvegarde de cette création que Dieu leur a laissée en gérance, pour la cultiver, et pour la garder, avec au centre l'homme. N'avons-nous pas le devoir d'inviter nos responsables politiques à des décisions courageuses, fortes, n'allant pas forcément dans le sens de la facilité, où il s'agit surtout de lutter contre le pouvoir de l'argent dans tous les domaines, y compris l'économie (cf. Viviane Forrester1) ?
Et si beaucoup plus de chrétiens étaient responsables politiques ou spécialistes dans un domaine stratégique (industrie, agriculture, commerce, santé publique, économie ) ? Peut-être serait-il plus facile d'infléchir le choix collectif entre Dieu et Mammon ?
1. Viviane FORRESTER, Une étrange dictature, Paris, Fayard, 2000.
2. L'auteur est président de la FEEBF depuis 1997. Il est ingénieur, docteur ès sciences physiques, et il travaille depuis 34 ans dans un organisme de recherches sur l'énergie nucléaire, où il s'occupe actuellement d'enseignement en sécurité-sûreté-qualité.
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