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L’invasion pornographique
2. L'obscénité dévoilée

Auteur :
Type : Dossier
Thème : La sexualité
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 61  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. L'obscénité dévoilée
Nous sommes immergés dans un monde dominé par le marché et le sexe est un commerce qui peut rapporter gros. Il est utile, et c'est le but de cet article, de replacer la question dans le contexte de notre société, de ses moeurs et de ses valeurs.

Nous vivons actuellement dans une société qui peut être caractérisée par un hyper individualisme et par une dérégulation généralisée, fruit d'une vision du monde extrêmement réductionniste. Vision du monde qui est purement économique, où tout peut se vendre et s'acheter dans le cadre du grand marché de la mondialisation et de l'hégémonie du jeu de l'offre et de la demande.

Le sexe et le marché

À partir de là, tous les aspects de la vie en société autres qu'économiques (spécificités culturelles, particularismes identitaires, volonté politique, morales religieuses ou laïques) sont sommés de s'effacer devant la sacro-sainte règle de la libre concurrence. Et dans cette dérégulation généralisée, la sexualité se trouve en première ligne. Il y a sans doute à cela quelques raisons historiques. Qui, des plus âgés, ne se souvient pas des années 70-80 et de son mouvement libertaire où l'hédonisme était le fer de lance de ce que l'on appelait alors la libération des moeurs. Les tenants de ce mouvement, toute une frange dite progressiste de la société, voulait libérer la personne et la société d'une morale bourgeoise et puritaine oppressive. Mais ne voilà-t-il pas que ce mouvement politique, culturel et social, à visée de liberté, a été complètement récupéré par la société marchande. On assiste ainsi, depuis de nombreuses années, à une instrumentalisation mercantile de tout ce qui a un rapport avec la sexualité. La pornographie en est l'exemple le plus parlant.

Aujourd'hui, loin d'aller contre les intérêts du grand marché libéral et les commandements de l'argent, la permissivité ambiante, héritière de la libération des moeurs, ne fait que servir l'un et l'autre. Ce qui est inquiétant, c'est que cette récupération du discours permissif par le commerce devient de plus en plus délétère car elle touche au sens, à la morale, et elle entraîne une subversion de la parole. La marchandisation du sexe répand quotidiennement sur les murs de nos villes et dans l'intimité des écrans de télévision, une version racoleuse de ces fameuses libertés revendiquées. Il les parodie avec un efficace savoir-faire. Il dénonce avec une habileté sournoise l'ordre moral, il célèbre publicitairement et de façon démagogique : "la noble souveraineté du désir et du plaisir.

C'est ici que se révèle la véritable obscénité et le danger de cette approche contemporaine qui s'insinue dans nos pensées et nos mentalités comme un doux poison. Cette obscénité ne consiste pas seulement en la provocation délibérée par le biais d'images érotiques ou pornographiques, mais par l'appropriation d'un discours dit de liberté par les tenants du profit, résolument indifférents quant-à eux à tout ce qui n'est ni exploitable ni quantifiable. C'est pour ainsi dire : "vive le sexe et ses attraits pourvu qu'il puisse nous rapporter. En écrivant : "jouissez sans entrave ou "prenez vos désirs pour des réalités sur les murs du quartier Latin, les étudiants de Mai 68 ne se doutaient pas qu'ils inventaient par anticipation, les nouveaux slogans publicitaires de notre société de consommation. C'est dans ce contexte que doivent s'inscrire dorénavant nos représentations de la sexualité. Les tabous, les interdits, les non-dits, les pudeurs d'hier qui protégeaient une certaine part de mystère sont désormais désignés comme d'anciennes régulations complètement dépassées, disqualifiées.

Morale et libéralisme économique

Le grand paradoxe, insidieux, c'est que ces morales laïques ou religieuses, ces prescriptions, ces règles, ces disciplines ne sont pas véritablement rejetées au nom d'une certaine idée de la liberté mais au nom du libéralisme économique. Le reproche qui est fait à la morale, c'est qu'elle incarne une forme de lois ou de règles contradictoires avec les exigences du libre-échange. L'inquiétude morale se voit ainsi invitée à capituler devant la majesté toute puissante du marché. Une pensée molle et un langage radicalement nouveau s'imposent de nos jours, insensiblement, sur le terrain de la morale. Le vocabulaire de la publicité et ses images expriment de façon caricaturale cette atmosphère marchande. On y voit décrit un individu idéal, homme ou femme, sûr de soi, épanoui, conquérant, parlant de lui-même comme d'une entreprise. On assiste ainsi à un véritable cours d'économie : l'individu gère son désir, optimise sa sexualité, investit dans son image. Bref, il se prend pour l'entrepreneur de lui-même, maître de ses désirs, de ses plaisirs et de sa destinée.

Dans cette optique, les censures, les interdits de la morale représentent un obstacle au règne sans partage du profit. Pour mieux les conjurer et par là même les disqualifier, les affiches et les films publicitaires n'hésitent pas à jouer sur la corde de la transgression et de l'humour. Telle cette publicité pour une assurance qui dit : "accepter d'assurer aussi les couples hétérosexuels.Dans ce cas, l'hétérosexualité est mise sur le même plan que l'homosexualité, sinon ringardisée, afin de récupérer un marché de couples homosexuels. Et puis cette société d'assurance conforte, par ce biais, son image progressiste et libertaire. On est frappé par l'équivalence de plus en plus marquée entre l'approche contemporaine du désir et du plaisir et le fonctionnement de l'économie; la demande s'affiche, l'offre se diversifie, la compétitivité devient la règle. Le nomadisme amoureux s'accélère et les personnes sont de plus en plus évaluées selon leur temps d'usage, comme des objets de consommation. Après les Direction des Ressources Humaines, va-t-on voir fleurir les Directions des Ressources Sexuelles ?

La sexualité jetable

Dans tout cela, l'autre du couple est instrumentalisé, réduit à un objet de plaisir que l'on consomme et que l'on jette quand il ne sert plus. Dans ce contexte, la femme a tout à perdre. Sa fragilité spécifique, sa sensibilité, sa pudeur, sont complètement niées. Elle est mise au service d'une virilité marchande qui exacerbe des désirs et des fantasmes très machistes : voyeurisme, exhibitionnisme, soumission au désir de l'autre, performance, concurrence, évaluation comparative, prévalence du court terme. Ici, l'argent apparaît comme un policier du désir et du plaisir des plus implacable, infiniment plus brutal et plus injuste que toutes les morales. Car selon les règles du marché, le tri entre plaisirs défendus ou permis, désirs satisfaits ou frustrés, ne s'embarrasse pas de la moindre humanité, ni de la plus petite compassion. Le tri est brutal et sans nuances, le respect de l'autre y est complètement bafoué, on peut payer ou pas, on est jugé performant, attractif ou sans valeur : "j'ai des besoins, des désirs, de l'argent... donc je consomme, je profite de la société et des autres pour les assouvir.

Dans cette société de permissivité et de séduction par l'image, le bouleversement des repères classiques de la sexualité, le nivellement par le bas de toutes les valeurs, fragilise les plus pauvres et les plus faibles car ils n'ont pas les moyens psychologiques, culturels et spirituels d'avoir un regard critique et de réagir à cet envahissement. Et parmi ces plus faibles, les enfants et les adolescents se trouvent particulièrement exposés, eux qui ont à construire leur personnalité par identification à des adultes consistants. Les interdits familiaux et sociaux se faisant de moins en moins exigeants, alors que le besoin psychique de référence à la loi est toujours, lui, le même. C'est là que les morales, jusque-là déconsidérées, ridiculisées et rejetées comme oppressives et d'un autre âge pourront réapparaître sous un jour plus positif ; celui de garde-fou, de point de repère symbolique et de vérité, de protection des plus faibles et des plus fragiles, ainsi que de sauvegarde de la liberté intérieure du sujet.

Et c'est là que l'ancienne Parole prophétique retentit avec toute sa vérité et toute son actualité : Malheur à ces gens qui prennent des décrets injustes et font des lois qui causent la misère ! Ils écartent ainsi la revendication des faibles et privent de leurs droits les pauvres du peuple (Es 10.1-2).

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