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Parler de Jésus-Christ
3. Renouveler la vie communautaire

Auteur :
Type : Dossier
Thème : Religions et Croyances
Source : Construire Ensemble
Réf./Date source : 04-2002  
Publié sur Lueur le
Sommaire du dossier :
  1. Parler de Jésus-Christ, oui ! mais comment ?
  2. Renouveler la vie communautaire

Entretien avec Gilbert Bilézikian

Gilbert Bilezikian, né à Paris en 1927, est sans doute le protestant évangélique français le plus connu aux Etats-Unis. Il est à l'origine de la création d'une des principales "mega-church " américaine, la Willow Creek Community Church (dans la banlieue de Chicago), une Église évangélique innovante au rayonnement international. Ce théologien, enseignant et prédicateur installé à Wheaton (Illinois) n'a pas oublié la France, ni la Fédération Baptiste dans laquelle il a oeuvré avant son installation aux États-Unis. Rencontré par Sébastien Fath en décembre dernier, il nous livre ici son regard sur la réalité évangélique et baptiste française.

Gilbert Bilezikian, vous êtes resté membre de l'Église baptiste de l'Avenue du Maine. Que signifie ce lien pour vous ?

Je reste très attaché à cette Église, en dépit de la vie américaine que je mène depuis maintenant plus de trente ans. C'est à Paris que j'ai grandi dans la foi, et c'est dans l'univers baptiste que j'ai accompli mes premiers engagements, que j'ai commencé à approfondir ma foi. Mon rattachement à l'Église baptiste de l'Avenue du Maine découle de cet héritage, mais il est peut-être aussi le signe que j'ai toujours dans l'idée de "revenir" m'installer en France, même si cela ne se réalisera pas forcément...

Y -a-t-il quelque chose de "baptiste" dans la "megachurch" de Willow Creek que vous avez contribué à fonder ?

L'Église de Willow Creek n'appartient pas à une dénomination particulière. Elle se rattache au protestantisme, aux acquis de la Réforme, dans sa tendance évangélique. Mais je peux dire qu'elle se rapproche beaucoup de la conception baptiste de l'Église (et pour ma part, je me définis toujours comme baptiste). Le système congrégationaliste (autonomie de l'assemblée locale, fonctionnement démocratique) n'a pas pu être totalement appliqué ici en raison de la masse des membres (plusieurs milliers), mais c'est notre horizon. Le fonctionnement est très collégial, sur la base d'un conseil d'anciens. Par ailleurs, nous sommes strictement "baptistes" dans notre pratique du baptême. Le baptême par immersion est une condition sine qua non de l'entrée dans l'Église. Nous sommes très explicites dans l'enseignement sur le baptême, car nous croyons (comme les baptistes !) qu'il y a un enseignement clair de Jésus et de ses apôtres là-dessus. Beaucoup d'anciens catholiques, par exemple, sont membres de la Willow Creek Community Church. Ils ont tous reçu le baptême par immersion, à partir du moment où ils ont bien saisi l'explication donnée, sur la base du Nouveau Testament. Bien expliquée, sans honte ni flou, la doctrine "baptiste" du baptême est d'une grande force. Elle est un beau témoignage de conversion, et une expression claire de ce qu'est l'Église, une communauté de "nés de nouveau", morts à leurs péchés et ressuscités en Christ par la Grâce de Dieu.

Quel regard portez-vous sur votre compagnonnage évangélique et baptiste français, avant votre départ aux États-Unis ?

Vu des Etats-Unis, le milieu évangélique français me frappe par sa fragilité, sa timidité. Mais depuis les années 1960, quel cheminement ! Il suffit de voir, par exemple, le développement des Églises de la Fédération baptiste en région parisienne depuis 40 ans pour s'en couvaincre. Le milieu évangélique français est moins "confidentiel" aujourd'hui qu'il ne l'était quand je fus enseignant à Chatou (à l'Institut Biblique Européen, n.d.l.r.). À l'époque, en dépit des petites dimensions de ce monde, j'ai le souvenir de plusieurs fortes figures. Je pense par exemple à Jean Woerner, un évangéliste formidable, très cordial, que j'ai accompagné et épaulé quelques fois dans ses tournées dans les Églises et postes baptistes de Picardie et du Nord. À l'Institut de Chatou (où je suis entré en décembre 1956, pour enseigner le Nouveau Testament jusqu'en 1961), j'étais très ami avec René Ariège, et les Américains, David Barnes, Robert Cambell, Bob Munn. André Thobois enseignait aussi quelques cours. J'ai eu le privilège de travailler avec lui pendant quelques temps. On était copains Sa "vision", son dynamisme ne se sont pas démentis depuis. Je me souviens aussi d'avoir eu Yves Perrier, Henri Frantz comme élèves. Quand j'ai entendu ce dernier prêcher, depuis, je me suis dit que sa prédication ne déparerait pas à Willow Creek ! En 1961, quand je suis parti aux Etats-Unis, j'ai été appuyé par une très aimable lettre de Henri Vincent, que j'ai conservée.
Citation : "J'apprécierais toute courtoisie qui puisse lui être faite alors qu'il prend ses nouvelles responsabilités en tant que pasteur visiteur (visiting minister à la Loudonville Community Church, New York. Lettre de recommandation de Henri Vincent, 23 mai 61). J'ajoute pour finir que mon "compagnonnage" avec les évangéliques français a eu des épisodes américains ! Quand j'étais étudiant au Gordon Seminary, j'ai croisé la route d'un jeune baptiste de grand talent, Jean Valla. Il y avait aussi Samuel Bénétreau, qui devint une figure marquante de la théologie évangélique française. J'ai également suivi les cours de Roger Nicole, frère de Jules-Marcel Nicole. Il était doté d'une mémoire ahurissante. Quel grand calviniste! Nous sommes restés amis, en dépit des divergences de vue qui nous ont marqués depuis.

Vous vous définissez parfois comme un "missionnaire français aux Etats-Unis ". Pourquoi ?

J'ai peut-être conservé de ma culture française l'esprit cartésien, l'esprit critique, qui me pousse à garder du recul quand on cherche à assimiler une culture particulière (comme la culture américaine, par exemple) avec l'Évangile. Cette culture critique, je veux la mettre entièrement au service de l'Évangile, et pas d'un pays particulier. J'ai toujours eu, depuis ma conversion, une confiance inébranlable dans la vérité de la Révélation de Dieu au travers de la Bible. Dans le fait que le Nouveau Testament nous livre la phase finale de la révélation de Dieu. Nous trouvons là les critères absolus pour la vie chrétienne autant que pour la vie de l'Église. Nous ne devrions pas nous en tenir aux traditions que nous avons établies de part et d'autre de l'Atlantique, mais il nous incombe d'aller au-delà de ces traditions jusqu'à la tradition initiale, seule normative, celle de l'Évangile de Grâce.

Votre approche de l'évangélisation, telle qu'elle a été adaptée dans la mega-church de Willow Creek, parad très innovante. Mais est-elle transposable ? Quelles sont les "étapes" que vous préconiseriez pour une Église qui souhaiterait, en France, se renouveler sur ce plan ?

Pour commencer, il ne s'agit pas de "copier" Willow Creek. Le contexte français n'est pas du tout celui des Etats-Unis. Il est très important de respecter le contexte culturel de chaque pays. C'est un principe que l'on trouve dans le Nouveau Testament, et auquel les chrétiens ne sont pas toujours assez sensibles. Ensuite, j'insisterais sur la question de la communauté. Les Églises évangéliques, et, parmi elles, les Églises baptistes sont bien placées pour montrer, dans leur vie communautaire, comment l'Évangile peut reconstruire un individu, un groupe, sur les bases de l'amour fraternel, des dons spirituels, du partage. Une communauté ouverte où les rapports de force (notamment entre les sexes) laissent place à une communion fondée sur les dons spirituels. Notre monde a tant besoin de cela ! Tout doit être repensé en fonction de cet impératif, y compris les formes du culte. C'est le travail de chaque chrétien. Le champ est vaste, d'autant plus', que les Églises locales françaises ne sont pas à l'abri du conservatisme, du repli sur soi.
Plus spécifiquement pour les conducteurs d'Église, je suggérerais les dix étapes suivantes : 1) évaluer les dons spirituels et les perspectives de changement. 2) Mettre au point un plan, d'action. 3) Commencer à enseigner, pas sur le changement en vue (parce que des membres vont par tir), mais sur les principes bibliques du changement, sans faire peur. 4) Partager la "vision" d'individu à individu (dans un premier temps), puis dans le cadre d'un petit groupe (surtout pas à toute l'Église : échec assuré). 5) À partir du "petit groupe", impulser progressivement des changements au niveau de toute l'Église. 6) Commencer les changements par les sujets les moins controversés. 7) Ne pas enlever le vieux, mais ajouter du neuf. Il faut laisser les vieux chants... Mais rajouter les nouveaux ! 8) Faire du "vision casting" (mettre en commun les "visions", les évaluer). À ce stade, il devient possible de voir avec toute la congrégation ce que l'on peut changer et créer. Toute l'Église peut par exemple être invitée à des conférences (sur l'évangélisation...) Il est bon aussi de visiter d'autres Églises, de multiplier les échanges. Une retraite d'Église peut être un très bon moyen de stimuler la dynamique innovante. 9) Formuler une "charte missionnaire" avec le conseil d'anciens, après consultation de toute l'Église. 10) Organiser l'Église locale pour une perspective d'implantation nouvelle. Le meilleur niveau est celui des "petits groupes", où chaque chrétien ou futur converti peut partager ses questions, ses fardeaux, ses sujets de prière et avancer dans la connaissance de Dieu et l'approfondissement spirituel.

Ces principes peuvent apparaître, pour beaucoup, séduisants sur le papier. Pourtant, la situation de l'évangélisation en France paraît globalement assez difficile. La France est un pays très sécularisé, volontiers méfiant vis-à-vis des Églises. Comment interprétez-vous cette réalité ?

Je ne m'explique pas bien les raisons de cette frilosité française. Du point de vue des Églises évangéliques, j'ai l'impression d'un certain manque de vision. Chacun fait "sa petite popote", dans son coin, et la routine remplace l'audace. Mais quand on se place du point de vue de l'Évangile, il y a des signes d'espoir. Il me semble qu'une évangélisation du style de celle pratiquée par la Willow Creek Community Church pourrait avoir un impact important. Pourquoi ? Parce qu'elle respecte le contexte culturel (et la France est fière de sa culture, non sans raison) et elle refuse le prosélytisme tapageur. Ce n'est pas par des "campagnes" spectaculaires, des distributions massives, des opérations médiatiques que les Églises se rempliront. C'est par une vie communautaire réellement renouvelée, signe du Royaume de Dieu. Les Français, qui n'aiment pas se sentir agressés par un message (surtout s'il est religieux) peuvent être sensibles à une évangélisation "en douceur", sans tapage, qui respecte leur culture. Je suis convaincu que les Églises baptistes (entre autres) ont beaucoup de potentialités dans ce domaine, à condition d'éviter quelques pièges, comme la routine, mais aussi la tradition du "petit chef" (les pasteurs doivent rester des "serviteurs"!) et la relégation des femmes aux tâches subalternes. Je serais heureux d'en discuter plus longuement avec les uns ou les autres. Les Français fantasment parfois sur un "oncle d'Amérique"... Si je pouvais jouer ce rôle là pour quelques uns, pourquoi pas ? C'est ma manière de dire que j'ai conservé un "fardeau pour la France".

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